Kenneth C. Davis est un historien, auteur d’un livre intitulé
“America’s Hidden History: Untold Tales of the First Pilgrims, Fighting Women and Forgotten Founders Who Shaped a Nation.” (HarperCollins, 2008)
Son article,
“A French connection” sur la lointaine histoire des premiers Français sur le continent americain est paru dans le New York Times du 26 Novembre dernier – la veille donc de Thanksgiving. En voici la traduction:
"La commémoration de l’arrivée des premiers colons sur les cotes américaines devrait avoir lieu, [non en Novembre, mais] en Juin, accompagnée peut-être d’un coq au vin et d’une bonne bouteille de Bordeaux.
Après tout, les premiers européens parvenus dans le Nouveau Monde à la recherche de liberté religieuse etaient français. Et ils ont battu leurs équivalents anglais de quelques 50 années. Que les immigrants français aient devancé les pèlerins du Mayflower peut surprendre les américains élevés dans notre mythe fondateur, mais les dates sont claires.
Bien avant que le Mayflower ne prenne la mer en 1620, un autre groupe de dissidents religieux ont cherché un refuge où pratiquer leur culte librement. Ils étaient Calvinistes français ou Huguenots, espérant échapper aux guerres de religion entre Catholiques et Protestants qui ensanglantaient la France depuis 1560.
Accostant sur les cotes odorantes de Floride en Juin 1564 à l’embouchure de ce qu’un exploreur français avait auparavant nommé la Rivière de Mai (à présent la rivière St Johns, près de Jacksonville) les français émigrés se sont aussitôt rassemblés pour célébrer un culte de reconnaissance. Porteurs des fondations d’une nouvelle colonie, ils avaient aussi apporté des canons pour fortifier la petite enceinte en bois qu’ils nommèrent Fort Caroline, en l’honneur de leur roi, Charles IX.
En peu de temps, ces colons Français bâtirent des maisons, un moulin et un fournil et apparemment ils se débrouillèrent même pour transformer des grappes de raisins en quelques tonneaux de vin. Les relations avec les voisins, les Timcuans, furent amicales. Certains des immigrants français se marièrent avec des femmes Natives et bientôt prirent l’habitude de fumer une certaine plante du cru.
De quoi manger, du vin, des femmes, et du tabac, le tout au bord de la mer, rien de moins… Un vrai paradis à la mode française….
Tout cela n’était pas du gout des Espagnols. Ils avaient d’autres vues pour le Nouveau Monde. En 1565, le Roi Philippe II d’Espagne ordonna de pendre et bruler les Luthériens (un mot espagnol englobant alors tous les Protestants) et il envoya l’Amiral Pedro Menéndez pour balayer ces Français hérétiques qui avaient eu le front de s’installer sur une terre revendiquée par l’Espagne et qui avaient aussi l’agaçante habitude d’attaquer les riches vaisseaux espagnols.
Menant cette guerre sainte avec la ferveur d’un croisé, Menéndez fonda St Augustin et donna l’ordre que soit célébré ce que ses supporters locaux disent être la première Messe paroissiale sur le sol des futurs Etats Unis. Puis il organisa l’assaut meurtrier sur Fort Caroline, au cours duquel la plupart des colons français furent massacrés.
Menéndes fit pendre les survivants sous un panneau sur lequel on pouvait lire « j’agis non contre des Français mais contre des hérétiques ». Quelques semaines plus tard, il ordonna l’exécution de plus de 300 français survivants d’un naufrage juste au sud de St Augustin. Le lieu est à présent marqué par un monument discret appelé Fort Matanzas, d’après le mot espagnol pour « massacre ».
Ainsi disparurent des pages de l’histoire les premiers colons des Amériques. Victimes des guerres de religions meurtrières, ils ont été la proie des historiens anglophiles qui ont effacé leur existence aussi promptement qu’ils ont rétrogradé la colonie espagnole de St Augustin à un statut de moindre importance derrière les colonies plus tardives de Jamestown et Plymouth.
Mais la vérité n’est pas aussi aisément enterrée. Bien que négligé, un premier chapitre de l’histoire désordonnée d’une nation chrétienne avait été écrit.
La violence sectaire et la haine qui causèrent la mort de quelques centaines de Huguenots en 1565 se manifestèrent à nouveau dans cette Amérique des premiers temps, ce soi-disant refuge des dissidents religieux, qui de fait s’avéra ne tolérer quasiment personne.
Commençant avec le massacre des colons français, la saga retraçant la naissance et la croissance de la nation est souvent sanglante et pleine d’animosité religieuse.
A Boston par exemple, les fondateurs Puritains exilèrent les prêtres catholiques et exécutèrent plusieurs Quakers entre 1659 et 1661. Cotton Mather, le célèbre dirigeant Puritain, joignit sa voix à la guerre contre les « sauvages » Abenaki de Nouvelle Angleterre qui avaient appris leurs prières des Jésuites français.
La colonie de Georgia fut établie en 1732 comme un tampon entre les colonies protestantes anglaises et les missions espagnoles de Floride. Sa charte d’origine interdisait la présence de catholiques.
La rivalité acerbe entre Français catholiques et les protestants Anglais se poursuivit pendant plus d’un siècle, donnait naissance à de nombreuses lois anti-catholiques, tandis que la méfiance à l’égard des Catholiques français du Canada contribua à embraser la passion pour l’indépendance de nombreux patriotes.
Aussi tardivement qu’en 1844, les émeutes anti-catholiques de Philadelphie causèrent la mort de plus d’une douzaine de personnes. La liste n’est pas close. Notre histoire est endeuillée par une succession de tableaux affligeants qui montrent ce qui se passe quand la certitude d’avoir raison rencontre une ignorance apeurée.
C’est pourquoi à Thanksgiving, quand nous exprimons notre gratitude pour les bienfaits et les promesses des Amériques, nous ferions bien aussi de réfléchir à notre histoire, en y incluant cet épisode français oublié qui commença sur les plages de Floride il y a tant d’années."