Wednesday, February 24, 2016

Raphaël Picon

Quand des nouvelles, bonnes ou tragiques, nous frappent, nous nous souvenons du contexte où nous les avons entendus avec précision. Où  étions nous quand on a marché sur la lune… quand nous avons appris la mort de lady Di… quand nous avons vu les images de 9/11…

J’étais assise avec Irvin dans un Starbuck à Orlando, en Floride, la veille de notre départ. Je « feuilletais » Facebook distraitement sur mon téléphone. Sur les pages de mes amis, j’ai vu apparaitre plusieurs fois la photo d’un jeune homme blond, souriant. Avant que je puisse lire le commentaire, plus long à apparaitre,  j’ai senti mon cœur s’accélérer.  Avant de lire, j’ai compris. Raphaël Picon était mort.


Raphaël était un théologien à la pensée originale et limpide et aussi un pasteur qui avait passé avec sa famille plusieurs années aux USA lors d’un échange de chaire. Il est devenu professeur et doyen de la faculté de théologie de Paris, où j’ai fait mes études, après mon passage. En tant que doyen, Raphael avait démêlé rapidement mes difficultés à rassembler les preuves de mes notes et « crédits », me permettant de faire reconnaitre que ma licence de théologie avait une valeur équivalente à celle d’un Master in Divinity, m’économisant trois ans de séminaire américain.

Je l’ai vraiment rencontré grace à notre ami commun Olivier. Tous deux travaillaient avec passion sur le magazine Evangile et Liberté. Nous avons eu la joie de plusieurs déjeuners ou diners ensemble, dans le grand appartement d’Olivier et Aurélie, où Irvin pouvait participer à la conversation sans difficulté puisque Raphaël et sa femme Cécile etaient tous deux bilingues.

Tous les six, nous avions grand plaisir à parler d’abondance d’expériences de paroisses, de séminaires ; d’enfants qui grandissent et de voyages.

Quelques semaines après notre dernière rencontre, Raphael a appris qu’il avait une tumeur au cerveau. Le diagnostic en aurait foudroyé plus d’un. Il entreprit calmement un traitement choc de chimio et radiothérapies quotidiennes qu’il se félicitait de bien supporter, tout en relisant les épreuves de son dernier livre sur Emerson « le sublime ordinaire ». 


Dans un email chaleureux, il me remercia d’avoir demandé aux « prayer chains » dont je fais partie dans mes différentes paroisses de prier pour lui. Un de ses amis avait glissé une prière de guérison dans le mur des Lamentations de Jérusalem, me dit-il. Ces initiatives le touchaient beaucoup. Mais après tous ces traitements, si la tumeur avait en effet cédé du terrain, une autre fut détectée, inopérable. A partir de là, les nouvelles n’ont pas cessé d’être mauvaises. Jusqu'à cette journée de janvier.

Comme j’aurais aimé me joindre aux obsèques et aux différentes cérémonies et moments de célébration qui eurent lieu à la faculté de théologie. Je pensais – je pense toujours - souvent à Cécile, dont je partage le prénom et les années de lycée communes à St Cloud, où nous sommes côtoyées sans nous connaitre encore. Grace à Olivier, j’ai pu lire le témoignage de son fils ainé, 15 ans, dont voici quelques lignes :

« Mon père a accepté naturellement cette maladie et la mort à venir. Et cela, il l’a fait pour nous, pour les vivants. Jamais il n’a exprimé la moindre inquiétude sur notre avenir à nous quatre. Jamais il ne nous a donné de conseils, parce qu’il avait toute confiance en nous « son sublime ordinaire ». Il était convaincu que la vie reprendrait si tant est qu’elle se soit même arrêtée.
Il a accepté pleinement la souffrance et la mort, jusqu’à nous la faire oublier et peut-être l’oublier lui-même, dans un ultime et éternel geste de vie. »

Qu’est-ce qu’une bénédiction ?
John O'Donohue, le poète Irlandais,  nous répond: c’est un cercle de lumière dessiné autour d’une personne… une invocation de grâce qui survient quand le cœur humain plaide avec le cœur divin. Quand une bénédiction est invoquée, une fenêtre s’ouvre sur le temps eternel. 
La vie de Raphael, ses livres, son œuvre, la famille et les souvenirs qu’il a laissé derrière lui sont de telles bénédictions. Les fenêtres qu’il a laissé ouvertes pour nous ont ensemencé et enrichissent notre présent.