Sunday, July 30, 2017

Alison et l’œuf à cheval

Déjeuner dans un restaurant du quartier avec mon amie Alison, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler.

Elle m’a prévenue, avant de se plonger dans la consultation du menu, qu’elle avait quelque chose à me dire, sous le sceau du secret.

Ah ?

Nous avons commandé, elle un « Faburgé » (habile jeu de mots du Chef, combinant « hamburger » et Fabergé, autrement dit un hamburger avec un œuf a cheval) moi une salade exotique avec une brochette de viande.



Et puis, elle m’a révélé le secret en baissant la voix.

« Je me suis inscrite à Weight Watchers ».

Alison est une belle jeune femme blonde, ronde et souriante, un chapelain très appréciée dans l’hôpital où elle travaille.

J’ai ri.

« Wow, je suis choquée !  Et tu me dis ça - comme ça, sans aucun préambule ? Je crois que j’ai senti un léger tremblement de terre quand tu as prononcé ces mots… »

Alison a ri elle aussi.

« OK, ce n’est pas un secret trop sinistre, mais un secret quand même parce que je ne veux pas que ma famille le sache. »

Sa famille habite sur la côte Est. Je ne les ai jamais rencontrés.

Elle a poursuivi : « Tu sais comment ils sont… »

Alison et moi étions « chaplain interns », aumôniers stagiaires, quand nous nous sommes rencontrées, donc nous savons beaucoup de choses l’une sur l’autre. Une grande part de ces stages consiste à parler de nos familles et analyser ensemble nos réactions en présence de patients pour comprendre comment notre passé nous influence.

Les parents d’Alison, éminents, élégants et bien sûr minces, ont toujours considéré les rondeurs de leur fille avec tristesse et désapprobation.

« Oui, je me souviens, mais justement, ils seraient contents de ta décision, non ? »

« Exactement. Ils vont espérer qu’en quelques mois je devienne une gazelle et la prochaine que nous nous verrons, ce sera « tiens, je pensais que tu aurais perdu plus de poids, que ca se verrait d’avantage… tu es sure que tu fais les choses comme il faut ? » Je préfère ne rien dire. »

Une fois ce point acquis, nous avons parlé de Weight Watchers.

« Je crois que c’est quelque chose que je peux faire », dit Alison gaiement, tout en dévorant son Faburgé. Elle était a jeun depuis la veille. Le jaune s’épanchait généreusement dans son assiette. Ma salade se révélait décevante.

« Alors, tu as des points, une trentaine par jour, qui sont calculés en combinant les calories, les grasses saturées, les sucres et protéines de chaque aliment. Les légumes et fruits sont gratuits, enfin 0 point. Il ne faut pas abuser, évidemment…. »

J’ai souri en regardant son assiette.

« Et après avoir mangé ça, tu sais combien de points il te reste pour ce soir ? »

« Non, en fait je n’ai pas encore regardé. Je voulais jeter un œil ce matin… mais j’ai été appelée aux urgences plusieurs fois. Attends, on peut le faire avec un téléphone… »

Elle a sorti son iphone. Instinctivement, j’ai saisi mon Android. J’ai cherché « nutritional values – hamburger with egg » et je lui ai donne les chiffres.

« Calories : 1200… (petit cri étouffé de Alison) Saturated fat : 225g… Sucre …. Proteines 67 gr… » « ça, c’est bien, ça va faire diminuer les points »

Après un instant, Alison a regardé l’écran de son téléphone, choquée. « 89 points !!! »

« Tu te rends compte ! Je viens de manger trois jours de points avec ce stupide burger ! »

Moment de silence pendant lequel elle a continué à regarder l’écran…..

Quelques jours plus tard, coup de fil d’Allison.

« Pad Woon Seen ! » a-t-elle annoncé sans préambule.

J’ai cru un instant qu’elle s’était mise à parler français et m’annonçait qu’il n’y avait « pas de…. » Mais en fait, elle partageait une bonne nouvelle.

« C’est un plat Thai, des nouilles – des vermicelles de riz en fait. Avec des légumes, des morceaux de poulet, crevettes, ce que tu veux. Tu trouves ça dans tous les restaurants thaï des environs… »

Notre région étant la plus proche du continent asiatique, nous avons des restaurants d’inspiration japonais, thaï, vietnamiens ou coréens un peu partout.

« Je peux aussi trouver des recettes en ligne, a ajouté Allison. L’important, c’est qu’il reste des choses que j’aime et que je peux manger. Tu sais combien de points pour un Pad Woon Sen, une pleine assiettée ? 11 ! 11 petits points ! »

Je l’ai entendue soupirer d’aise avant de poursuivre.

« L’important, surtout quand on a faim… c’est de pouvoir penser à quelque chose qu’on aura plaisir à manger… Impossible de faire un régime longtemps si on n’a pas ça. »

Elle a raison. Un régime – ou un effort dans tout domaine – ne peux durer longtemps sans espoir.

Wednesday, July 12, 2017

Entre deux nuages

Fin de notre séjour à Talmaks. Sous un ciel menaçant, après avoir fait nos adieux à la famille d’Irvin,  nous avons rendu la voiture de location (couverte de la poussière des chemins de Talmaks) et embarqué dans le « pick up » de la compagnie – un véhicule si haut perché que l’on a l’impression de faire de la varappe pour grimper dedans – qui nous raccompagnait au petit aéroport de Lewiston.

L’avion, un « commuter » d’une quarantaine de places, n’était pas plein. Il décolla sous la pluie. 

J’ai pris une photo de la jonction des deux rivières, la Clearwater et la Snake river. 


Et puis… un bref éclat de lumière blanche. La foudre ? (Ciel, l’avion est-il en danger ?) ou un court-circuit ? (Ciel, l’avion est-il en danger ?) L’avion a paru tomber comme une pierre. Une petite fille a poussé un cri perçant. « Veuillez garder vos ceintures de sécurité » a commenté le capitaine.

Apres quelques minutes de perturbations, nous sommes arrivés au dessus des nuages et le reste du court voyage jusqu'à Seattle s’est passé paisiblement… pour les autres.

L'arme secrete contre les nausees... 
Moi, cramponnée à mon tube de Vicks Inhaler, intense et efficace pour combattre les nausées, mal au cœur et autres mal des transports, j’essayais de ne pas avoir besoin du sac en papier renforcé qu’Irvin avait placé entre mes mains. Les yeux fixés sur l’espace blanc des nuages, je parlementais avec mes intérieurs.
« On se calme, tout va bien, tout le monde reste en place là-dedans…  Personne ne bouge ! »

Lorsque nous avons commencé notre descente sur Seattle, j’ai admiré sans retenue le train d’atterrissage parfaitement visible de nos sièges. 
J’étais si contente de le voir !

C’était le début de la soirée à Seattle. Il faisait encore clair, les nuages vaporeux dans le ciel bleu… Le bonheur, ça peut etre le soulagement simple d’avoir les deux pieds sur la terre ferme, de retour chez soi.




Saturday, July 8, 2017

Déjeuner à Winchester


Lundi, avant notre départ de Talmaks, nous sommes allés déjeuner à Winchester, la ville voisine. La petite ville est née au début du 20eme siècle après l’ouverture par le gouvernement de la réserve Nez Perce aux non-Indiens (1895). En 1900, quand la petite communauté cherchait un nom, un des participants a remarqué une pile de fusils Winchester a proximité et fait une suggestion. Winchester, Idaho était né.


Nous avons déjeuné dans un petit restaurant cultivant son apparence de western, où le propriétaire, un homme à la longue moustache blanche, tenait tous les rôles : cuisinant, servant les clients puis passant à la caisse le moment venu (argent liquide ou chèque, pas de cartes de crédit).


Dans une petite ville comme Winchester, sur la réserve, mais en grande majorité non-Indienne, la coexistence avec les Natifs est dépourvue de chaleur. 

Les non-Indiens voudraient voir disparaitre les privilèges des Nez Perces qui sont le résultat des traités avec le gouvernement : droit de pêcher et de chasser, assurance-maladie, souveraineté de la réserve…  Selon eux, puisque les Nez Perces aujourd’hui n’ont plus besoin de pêche ou de chasse pour leur survie au quotidien, pourquoi ces droits ?

Mais ces traités n’ont pas de limite dans la durée. Et ces droits sont peu de choses en regard de tout ce qui a été dérobé à la tribu.

Une station-service et une supérette, appartenant à la tribu ont été ouvert récemment à Winchester. Le prix de l’essence est un peu moins chère, car certaines taxes ne s’appliquent pas sur la réserve. L'essence s'achete par gallons (4 litres environ). 

Un rappel que les armes y sont interdites n’est sans doute pas inutile quand la ville s’appelle Winchester !


 

Friday, July 7, 2017

Prier à Talmaks


Lors des cultes, tout le monde se retrouve dans un grand bâtiment – un grand abri plutôt. La charpente est en bois, et soutient le toit, en métal ondulé. Des hirondelles circulent à grande vitesse, entre les ouvertures, les poutres. On les suit des yeux, fasciné, l’une d’entre elle va-t-elle percuter un obstacle ? Mais tel l’Esprit qui « souffle où il veut », elles savent où elles vont, attrapent les insectes et regagnent des nids qu’on devine sous le toit.


Les cultes suivent la tradition presbytérienne. On échange « la paix du Christ » - en l’occurrence un long moment de salutations, de retrouvailles, de dialogues avant que le liturgiste rappelle l’assemblée à l’ordre. 


Un chant Nez Perce (traduit de l’anglais dans la langue de la tribu) est choisi et entonné, toujours a cappella, ce qui peut créer des hésitations quand l’hymne n’est pas très connu. Je connais bien le 127, dont le refrain se chante à deux voix, femmes et hommes. La prononciation du Nez Perce me rappelle un peu le francais.


Après la prédication, de 30 à 40 minutes (ce qui est spécifique a Talmaks) un « altar call » a lieu : un moment où les pasteurs présents se tiennent devant l’autel. Ceux qui se sentent « appelés » par Dieu peuvent venir leur parler. Traditionnellement, c’est le moment ou les conversions se concrétisent, mais à Talmaks, c’est surtout pour demander des prières que des participants se lèvent et viennent parler à mi-voix à un des pasteurs présents. 

Pour la française reformée que je suis, les « altar calls » sont un moment « awkward » comme on dit ici. Inconfortable. Lors des cultes du soir, aucun volontaire ne se présente alors qu’il y a 5 ou 6 pasteurs présents, qui se tiennent devant l’autel.

C’est seulement lors du culte de dimanche matin, où l'audience était la plus nombreuse, qu’une réponse à cet appel a eu lieu. Irvin, qui venait de prêcher, était celui vers lequel les volontaires se dirigeaient en priorité. Mais deux dames que je connais à peine sont venues vers moi, l’une après l’autre, m’ont parlé de leur situation et demandé de prier pour elles, avant de pleurer dans mes bras.

Puis vient un dernier chant et la bénédiction. 



Thursday, July 6, 2017

Talmaks sous les étoiles


“Les Blancs font de grands feux et se tiennent à distance… Les Indiens font des petits feux et s’assoient tout près des flammes”….

Nous avons ri. C’est le mari (Blanc) d’une des tantes d’Irvin qui venait de parler. Nous étions près du feu, justement, nous rapprochant insensiblement de la chaleur au fur et à mesure que le froid devenait perceptible dans la nuit.

Cela se passait lors du dernier weekend de juin, aux abords d’une grande prairie, au sommet d’une colline : Talmaks, en Idaho. Le camp meeting des Nez Perces presbytériens se tient en cet endroit chaque année pendant deux semaines, de la fin juin à la mi-juillet. Les paroissiens des six églises presbytériennes de la réserve Nez Perce s’y retrouvent avec leur famille.


Cette tradition, dont j’ai eu l’occasion de parler ici, est plus que centenaire. Irvin se souvient de ses grands-parents, toujours présents. C’était leurs vacances. Et sa grand-mère, issue d’une famille Norvégienne, racontait avoir vu, enfant, les Nez Perces, à pied ou à cheval, monter vers Talmaks. C’était au début du siècle. « Je ne me doutais pas qu’un jour, je serais des leurs ».

Tipis et camping-cars
Des tipis côtoient les camping-cars, les tentes et les « cabins », des petites maisons rudimentaires. Les familles se retrouvent, les cousins jouent ensemble. Chaque jour, des études bibliques, un culte (deux le weekend), des activités pour les enfants ont lieu. 


Irvin est invite à prêcher chaque année. Cette fois ci, je l’étais aussi et dimanche nous étions de service, lui le matin, moi le soir.

Nous avons passé quatre jours à Talmaks, arrivant vendredi et repartant lundi en fin de journée. Le ciel de la nuit est toujours remarquable. Le nombre d’étoiles visibles me donne le tournis, moi qui suis habituée à vivre dans des villes trop éclairées. Parfois on aperçoit aussi la voie lactée. 

Les journées sont souvent d’une chaleur étouffante. On s’assoit sur des chaises pliantes et on cherche l’ombre. J’ai beaucoup lu tandis qu’Irvin bavardait avec les membres de sa famille. Ma belle-mère, qui est morte en 2005, était l’ainée de 10 enfants. Elle avait 6 sœurs. Plusieurs des tantes étaient là, avec leur propre famille.



Retrouvailles douces amères
Après le culte samedi, j’ai vu un étrange personnage s’avancer dans notre direction. Un homme très pale, chauve sous sa casquette, avec une seule jambe, marchant avec des béquilles. Il me sourit – il n’avait pas de dents. Puis il m’appela par mon prénom, se réjouit de notre arrivée.  Visiblement, nous nous connaissions, mais qui était-il ? Je me suis avancée vers lui pour donner une « hug », ces embrassades typiquement américaines. « So good to see you! » a-t-il commenté. J’ai répondu « So good to see you too ! » avant d’ajouter intérieurement « whoever you are… »

Plus tard, j’ai interrogé Irvin. « C’est Peter… »  Cela m’a paru impossible. Peter est un des cousins d’Irvin, plus jeune que nous. Un ancien professionnel de rodéo dans cet état, l’Idaho, où c’est un mode de vie et une passion. Il a pris sa retraite tôt, comme beaucoup, avec un dos qui avait souffert. Et dans les années qui ont suivi, il a bu et s’est drogué. Il est devenu diabétique et ne s’est pas soigné. Il a perdu ses cheveux, ses dents et une de ses jambes.

« Il m’a appelé au téléphone plusieurs fois ces derniers temps, a dit Irvin avec tristesse et une certaine colère. Il dit qu’il veut reconstruire sa vie… Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il continue à boire… »

Quand j’ai prêché dimanche soir, je sentais la fatigue des uns et des autres. L’après-midi avait été chaude, il était tard. 


J’avais préparé un sermon de plus de 30 minutes (un minimum à Talmaks) sur la confrontation entre David et Goliath, et ce que l’attitude de David peut nous apprendre, quand nous affrontons les « Goliaths » de notre vie. Je sentais les regards et l’attention flotter… mais Peter, les yeux fixés sur moi, écoutait. 

Les invités éventuels
La veille de notre retour, un de nos amis, un pasteur Choctaw, invité avec sa famille pour diriger les activités des enfants, avait fait un feu près de notre petite « cabin ». Ils nous parlaient de leur voyage – une route de plusieurs jours en provenance du Kansas ou ils vivent.

Je les écoutais mais mon esprit de citadine était aussi assailli de pensées soudaines. Et si une souris se glissait dans notre abri ? Elles étaient très nombreuses cette année. Ou ces araignées que j’avais déjà aperçues… et ces grosses fourmis…

Etre à Talmaks est le don d’une expérience rare, j’en ai conscience. Et cela m’a honorée d’être invitée à prêcher. Ce cadeau se poursuit au retour : l’occasion, quand on rentre chez soi, d’apprécier plus que jamais un confort auquel en général on ne prête guère attention.