Friday, February 20, 2009

Un récit provocateur tiré du livre des Rois

Imaginez la scène : vous êtes un général victorieux et respecté. Vous avez l’estime de votre roi, le souverain de Syrie. A plusieurs reprises, votre stratégie a conduit ses armées à la victoire contre le Royaume d’Israël. Vous êtes admiré et craint. Ombre au tableau : sur un territoire qui vous est bien plus crucial, une autre bataille a commencé. Vous êtes impuissant à protéger ce territoire là. Jour après jour, vous perdez du terrain. Vous avez la lèpre.

Cette histoire se trouve dans le deuxième livre des Rois, (chapitre 5, versets 1 à 17) et figurait parmi les lectures de dimanche dernier, où j’étais « de prédication». Namaan, le général en question, a réussi sa carrière militaire mais cela ne l’a pas rendu arrogant : il écoute ses subordonnés et il en est aimé. Aux heures les plus sombres de sa maladie, c’est ce qui va le sauver. Même la petite servante de sa femme, une esclave provenant d’Israël, veut son bien, et l’informe de l’existence d’un prophète vivant dans son pays natal. Elisée peut guérir quiconque vient le trouver, assure-t-elle, y compris un dignitaire ennemi. Chance : les deux pays sont en trêve.

Voilà Namaan en route pour le royaume d’Israël, une lettre de son propre Roi comme sauf-conduit, accompagné de sa suite, chevaux richement harnachés et chariots chamarrés, chargés de trésors à donner pour le prix de sa guérison. Lépreux ou pas, le dignitaire ne vient pas quémander quoi que ce soit. Mais le parcours qui va le mener à son rétablissement prend des détours inattendus.

En premier lieu, le Roi d’Israël n’est pas exactement heureux de le voir. Cela se comprend : après tout, il est le Commandeur des armées ennemies qui l’ont battu récemment. Cependant, ce n’est pas du dépit que le souverain exprime, mais de la peur et de l’impuissance, au point de déchirer ses robes en public. Lisant la lettre de son homologue Syrien, qui parle de soins médicaux pour Namaan, il pense que c’est à lui, personnellement, qu’une guérison est demandée. Il n’est pas médecin. Son ignorance, pense-t-il aussitôt, va servir de prétexte pour amorcer de nouvelles hostilités. Et l’ennemi est déjà là, présent au cœur même de son palais, prêt à témoigner de sa déconfiture.

Contrairement à Namaan, le Roi d’Israël ne parait pas informé de l’existence d’un puissant prophète vivant dans son royaume. Mais l’inverse n’est pas vrai : Elisée, remarquablement avisé de ce qui se passe au sommet de l’Etat, intervient et recommande qu’on lui envoie l’encombrant visiteur.

Lorsque Namaan frappe à la porte de la modeste maison, un simple serviteur ouvre la porte et lui donne un message du saint homme : la guérison nécessite simplement un bain dans la rivière du Jourdain. Le général est ulcéré. Le prophète, au lieu d’etre convenablement impressionné par le noble visiteur, ne se donne pas la peine de l’accueillir, n’offre aucun traitement de sa main, et le renvoie à la rivière locale, sans même proposer de l’accompagner. Toute cette équipée solennelle pour ce résultat ? Humiliation et déception enflamment sa colère.

Là encore, un subordonné lui montre le chemin menant à sa délivrance : il lui conseille de suivre la prescription – le guerrier n’aurait-il pas été prêt à se lancer dans toute épreuve recommandée par le prophète ? Certes un bain est moins héroïque, mais pourquoi ne pas le tenter ?

Namaan accepte la suggestion, se baigne comme prescrit, et sort des eaux boueuses du Jourdain un homme neuf. Le bain l’a non seulement guéri, il a aussi effacé les années d’exposition au soleil, aux batailles et au sable. Doté de la chair «d’un jeune enfant», Namaan veut combler son bienfaiteur de cadeaux. Non pour payer son traitement, mais pour montrer sa reconnaissance.

Elisée refuse calmement les montagnes d’or et d’argent. La guérison vient de Dieu : il en est le simple messager – pourquoi recevrait-il paiement ? Il a transmis des instructions, tout comme son serviteur un peu plus tôt. Dieu doit etre le seul destinataire de la gratitude.

Namaan comprend le sens du refus d’Elisée, et donne son cœur et sa foi au seul Dieu qui soit. Il a aussi compris sa vraie place dans le monde : il est juste un croyant, comblé par la grâce de Dieu. Il a l’humilité de recevoir le cadeau de sa guérison, et c’est en simple fidèle, et non en fier homme de guerre, qu’il requiert la permission d’emmener avec lui, sur ses mules, la terre qui a vu sa délivrance et porté les pas du prophète. Il veut enraciner sa foi sur ce terreau là, le terreau de ce monde où les serviteurs ont plus de connaissance et de sagesse que leurs maitres, et où Dieu se donne – gracieusement et entièrement - à qui veut le trouver.

Illustration 1 tiree des Tres Belles Heures de Notre Dame de Jean de Berry, Namaan et Elisee (1409)
Illustration 2 Namaan dans la riviere Jourdain

1 comment:

  1. Ton intro est géniale ! J'ai toujours eu un faible pour le premier testament parce qu'il raconte quelque chose et passe ainsi plus facilement de générations en génération.

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