Quel texte biblique choisir pour un sermon sur la gratitude? J’étais invitée à prêcher lors d’un culte spécial célébré mercredi soir, veille de Thanksgiving, organisé par deux églises presbytériennes de Puyallup, dont celle où j’ai fait mon stage cet été. J’ai choisi de parler de la proverbiale parabole des fils prodigues (Evangile de Luc 15 :11-32) – cette histoire est si évocatrice que certains théologiens l’ont appelée «le mini-évangile». On y trouve la puissance rédemptrice de l’amour de Dieu, la démonstration de son amour dont le psaume 18 se fait l’écho («l’Eternel m’a délivré parce qu’Il m’aime»- en anglais l’expression «He delights in me» est plus expressive).
Mais les fils sont-ils reconnaissants ? L’histoire ne le dit pas, on le devine et on l’espère puisqu’ils nous représentent. A partir de cette histoire bien connue, j’ai réfléchi aux obstacles qui peuvent interférer avec nos sentiments de gratitude.
Le fils ainé, prodigue de son amertume blessée, c’est celui qui connait si bien les règles de l’obéissance due à son père qu’il en a perdu le sens d’une vraie communication aimante et partagée. «Tout ce que j’ai est à toi», dit le Père, surpris par la révolte du fils qui a toujours été à ses cotés mais qui semble soudain le connaitre si mal. Parfois, connaitre trop bien les règles nous donne un sentiment de contrôle qui nous éloigne de Celui qui est le Maitre du jeu. Nous vivons au plus près de lui, dans notre respectueuse routine, mais nous ne sommes plus à son écoute.
Parce que nous connaissons les règles et faisons tout pour les respecter, nous regardons aussi nos frères et nos sœurs avec un autre regard : nous évaluons leurs propres performances et nous avons une idée précise de qu’ils méritent. Si les conséquences de leurs actions ne correspondent pas à notre évaluation, nous pouvons être indignés, comme le frère ainé, ou emplis de confusion, s’il nous semble qu’ils auraient dû recevoir plus. De fait, le fils ainé semble très au courant des actions de son frère, comme s’il avait gardé un œil sur tout son parcours.
Nous lancer dans ces comparaisons nous vient spontanément à l’esprit et c’est un chemin à éviter. Souvenons-nous de Job et de ses amis : nous avons vite tendance à projeter sur la situation de nos proches nos craintes et nos espoirs, au risque de les blesser. Notre parcours, et notre relation avec Dieu sont uniques. Le chemin très différent du fils cadet en est l’exemple.
Ce jeune homme pourrait etre le fils direct d’Adam et Eve. Tout comme eux, il a voulu le Jardin sans le Créateur, le patrimoine sans celui qui l’a constitué, sans même attendre les règles normales de succession. La liberté que Dieu nous accorde est alarmante. Le père n’a pas cherché à retenir ce fils immature, lui laissant toute latitude d’aller à sa propre perte. Mais sa place a été conservée, intacte dans la famille. Il s’attendait à devoir regagner, jour après jour, l’estime de son père, mais il se retrouve dès son retour fils aimé et même héritier.
La conscience de l’amour divin nous guide vers une gratitude qui élargit les limites de notre âme. Les paroles du Père à ses deux enfants nous sont destinées : tu es toujours avec moi. Tout ce que j’ai est à toi. Réjouissons-nous car tu es revenu à la vie. Tu étais perdu et te voici retrouvé.