Sunday, November 28, 2010

Les fils prodigues sont-ils des ingrats ?


Quel texte biblique choisir pour un sermon sur la gratitude? J’étais invitée à prêcher lors d’un culte spécial célébré mercredi soir, veille de Thanksgiving, organisé par deux églises presbytériennes de Puyallup, dont celle où j’ai fait mon stage cet été. J’ai choisi de parler de la proverbiale parabole des fils prodigues (Evangile de Luc 15 :11-32) – cette histoire est si évocatrice que certains théologiens l’ont appelée «le mini-évangile». On y trouve la puissance rédemptrice de l’amour de Dieu, la démonstration de son amour dont le psaume 18 se fait l’écho («l’Eternel m’a délivré parce qu’Il m’aime»- en anglais l’expression «He delights in me» est plus expressive).
Mais les fils sont-ils reconnaissants ? L’histoire ne le dit pas, on le devine et on l’espère puisqu’ils nous représentent. A partir de cette histoire bien connue, j’ai réfléchi aux obstacles qui peuvent interférer avec nos sentiments de gratitude.

Le fils ainé, prodigue de son amertume blessée, c’est celui qui connait si bien les règles de l’obéissance due à son père qu’il en a perdu le sens d’une vraie communication aimante et partagée. «Tout ce que j’ai est à toi», dit le Père, surpris par la révolte du fils qui a toujours été à ses cotés mais qui semble soudain le connaitre si mal. Parfois, connaitre trop bien les règles nous donne un sentiment de contrôle qui nous éloigne de Celui qui est le Maitre du jeu. Nous vivons au plus près de lui, dans notre respectueuse routine, mais nous ne sommes plus à son écoute.


Parce que nous connaissons les règles et faisons tout pour les respecter, nous regardons aussi nos frères et nos sœurs avec un autre regard : nous évaluons leurs propres performances et nous avons une idée précise de qu’ils méritent. Si les conséquences de leurs actions ne correspondent pas à notre évaluation, nous pouvons être indignés, comme le frère ainé, ou emplis de confusion, s’il nous semble qu’ils auraient dû recevoir plus. De fait, le fils ainé semble très au courant des actions de son frère, comme s’il avait gardé un œil sur tout son parcours.

Nous lancer dans ces comparaisons nous vient spontanément à l’esprit et c’est un chemin à éviter. Souvenons-nous de Job et de ses amis : nous avons vite tendance à projeter sur la situation de nos proches nos craintes et nos espoirs, au risque de les blesser. Notre parcours, et notre relation avec Dieu sont uniques. Le chemin très différent du fils cadet en est l’exemple.

Ce jeune homme pourrait etre le fils direct d’Adam et Eve. Tout comme eux, il a voulu le Jardin sans le Créateur, le patrimoine sans celui qui l’a constitué, sans même attendre les règles normales de succession. La liberté que Dieu nous accorde est alarmante. Le père n’a pas cherché à retenir ce fils immature, lui laissant toute latitude d’aller à sa propre perte. Mais sa place a été conservée, intacte dans la famille. Il s’attendait à devoir regagner, jour après jour, l’estime de son père, mais il se retrouve dès son retour fils aimé et même héritier.

La conscience de l’amour divin nous guide vers une gratitude qui élargit les limites de notre âme. Les paroles du Père à ses deux enfants nous sont destinées : tu es toujours avec moi. Tout ce que j’ai est à toi. Réjouissons-nous car tu es revenu à la vie. Tu étais perdu et te voici retrouvé.

Saturday, November 27, 2010

Thanksgiving - le retour

La neige a fondu en quelques heures – une température un peu plus douce, de la pluie, et c’est comme si aucun flocon ne s’était jamais posé par chez nous… Bien sur, ça facilite la circulation, ce qui ne saurait mieux tomber qu’en cette semaine de Thanksgiving où les familles voyagent pour se réunir autour de ce repas traditionnel.

Pourtant, la neige me manque. D’abord, il y a la clarté éblouissante, toujours appréciable dans une région au ciel si souvent couvert. Et puis la neige transforme généreusement les jardins un peu négligés en étendues harmonieuses qu’on pourrait croire tirées d’un magazine de décoration….

Effacer les faits discordants comme le fait la neige dans mon jardin et montrer une vision flatteuse de certaines images fondatrices de son pays, c’est une tentation qui se présente quelque soit les continents et les nations. Thanksgiving ne fait pas exception à la règle. Cette tradition est entrée dans les mœurs au 19eme siècle, à un moment où le pays avait grand besoin d’etre uni dans le respect d’un rituel commun à tous. Un événement remontant au 17eme siècle – un repas partagé par les premiers pèlerins à Plymouth et les Natifs de la tribu Wampanoag - a permis de lui donner des racines remontant bien avant les dissensions et la guerre civile.

Le tableau ci-dessous a été peint au début du 20eme siècle et on le voit souvent dans les documentaires qui racontent l’origine des festivités de Thanksgiving. J’en ai vu une copie pour la première fois chez un des frères d’Irvin et ce qui m’a tout de suite frappé, c’est que les pèlerins sont représentés accueillant avec une générosité un peu paternaliste les Natifs timides, assis par terre. Les pèlerins leur offrent de la nourriture que les indigènes semblent découvrir pour la première fois. Ce qui est ironique quand on sait que les Wampanoag ont permis à ces nouveaux venus de survivre en leur apprenant notamment comment cultiver le maïs et les courges.


Certains américains ont une dent contre Thanksgiving – certains sont Natifs, tous ne le sont pas. Jeudi matin, jour de Thanksgiving, certains organes de presse faisaient savoir qu’Angelina Jolie refusait paraît-il de célébrer avec sa famille multiculturelle «ce que les colons Blancs ont fait aux Natifs Indiens, et la domination d’une culture sur une autre».

Le fait est, les Natifs que je connais, ceux de notre paroisse ou la famille d’Irvin, sont bien conscients de l’histoire de leur pays. Mais ils apprécient l’occasion de se retrouver en famille – une valeur majeure chez les Natifs – autour d’un repas abondant. Comme chaque année le dimanche qui précède Thanksgiving, notre église a organisé un repas après le culte. Nous n’avons jamais été aussi nombreux !

Partager un repas et parler de gratitude ne veut pas dire tourner le dos au passé. Lors de la soirée cinéma de novembre, nous avons regardé avec nos paroissiens le premier épisode de la série documentaire «We Shall Remain» dont j’avais eu l’occasion de parler en 2009, lorsqu’il est passé à la TV [1]. Ce premier épisode décrit justement l’histoire de la tribu Wampanoag et le contact avec ces premières générations d’Européens.


[1] Voir “We Shall Remain”, 14 avril 2009.

Tuesday, November 23, 2010

Un demi-pied de neige sur la colline

Il est 16h15 et déjà les couleurs du ciel prennent une teinte de soleil couchant. Nous sommes dans une atmosphère polaire aujourd’hui. D’ailleurs, les nouvelles locales parlent de «arctic blast». Hier, la tempête de neige a déposé un demi-pied de neige sur toutes les surfaces accessibles aux intempéries. Un pied (12 pouces) c’est 36 cm. Nous avons donc reçu 18 cm. C’est inhabituel, surtout si tôt dans la saison – nous sommes à un mois de l’hiver après tout.

En attendant, les petits oiseaux ont l’air d’apprécier les graines que nous avons placées à leur intention.

Malgré le vent, je n’ai pas eu de coupure de courant, ouf ! Hier soir, certains quartiers de Tacoma ont passé plusieurs heures dans le noir.

Les températures restent en-dessous de 0 mais le ciel est serein. Irvin rentre de Phoenix ce soir, et son oncle Charlie, habitué à conduire sur les surfaces glacées comme tous les Nez Perces (l’Idaho est une contrée accidentée qui rappelle la Suisse) va aller le chercher à l’aéroport. Je suis reconnaissante : les routes seront plus sures ce soir sans moi au volant dessus.

Monday, November 22, 2010

Variations climatiques sur la colline

Le climat dans notre région est en général tempéré et humide, sans les brusques évolutions continentales qu’on trouve dans le Middle West. Pas de tornades pour nous à la belle saison, juste les subtiles différences entre les catégories de précipitations qui parfois se combinent: crachins persistants, averses assidues et/ou hallebardes farouches.

Bien sur, cela n’interdit pas à une certaine diversité de se glisser entre les gouttes.

Ainsi lundi dernier, les bourrasques de vent provenant d’une tempête du Pacifique ont parcouru notre état. Dès que nous avons entendu les avertissements de la météo et perçu les rafales contre la maison, nous avons su ce que cela voulait dire. Irvin a sorti les bougies et les lampes torches, j’ai mis la bouilloire sur le feu pour préparer un thermos.
Les lignes électriques sont toutes aériennes par chez nous. Par exemple, si la lumière est belle sur le Mont Rainier et que je veux prendre une photo, le seul endroit pour le faire est le petit parking d’un aérodrome local à 10 minutes de chez nous. Sinon, des poteaux et des câbles sont toujours dans le champ.
L’effet du vent sur ces installations, aidé ou pas par des branches d’arbres voisins, est prévisible et nous sommes rodés. Les lumières tressaillent une fois ou deux dans la soirée – nouvel indice de ce qui se prépare – et soudain c’est l’obscurité. Nous percevons des éclairs dans le lointain et comme ce n’est pas un orage, cela veut dire des transformateurs qui sautent.
De nos précédentes expériences (dont la plus longue a duré trois jours) nous avons accumulé un certain savoir-faire et aussi des lampes torches de bon calibre. Leurs piles ont la taille d’un mini dictionnaire bilingue. Les bougies font une agréable lumière d’ambiance, les lampes torches servent pour se déplacer dans la maison. Nous avons une petite radio qui se recharge par manivelle – elle fait également lampe de poche (elle se vante aussi de pouvoir recharger les téléphones portables, mais nous n’avons pas trouvé comment).

L’absence de télévision et d’ordinateur incite à se coucher tôt tandis que la maison se refroidit lentement. On ne peut même pas compter sur des chiens réputés pour leur triple épaisseur de fourrure soyeuse pour rester au chaud : nos deux cockers se pelotonnent l’une contre l’autre au bout du lit sans se préoccuper de nous. On se sent aimé…

Au petit matin, l’épouse fidèle se lève et s’occupe des chiennes, se fait un thé chaud grace au thermos puis remonte à l’étage pour étendre deux couvertures de plus sur le mari endormi.

Finalement, le courant est revenu vers 15h – les joies élémentaires du quotidien nous sont rendues. Ah, le gai mouvement de l’interrupteur qui commande le plafonnier ! La douce voix désincarnée qui annonce «welcome» quand on arrive sur AOL ! Le plaisir simple du zappage de chaines de télévision !

Quelques jours plus tard, le vent a cédé la place à la neige qui tombe depuis hier dimanche. Un peu comme dans la région parisienne, le manque d’habitude créée une certaine confusion sur les routes, en particulier celles qui montent vers notre colline, dénivellation oblige.

Photographiquement parlant, ce type de conditions météo permet de se livrer à des défis artistiques qui restent partiellement irrésolus. Par exemple, prendre une photo couleur d’un cocker noir sur fond de neige.

Ces phénomènes atypiques peuvent se combiner : pour ce soir, on annonce toujours plus de neige ET des rafales de vent. Ça devrait etre intéressant…

Friday, November 19, 2010

Harry Potter 7 sur le vif

La sortie d’un nouveau film Harry Potter est toujours un événement générateur d’anticipation et d’allégresse dans le cœur de la fan passionnée qui écrit ses lignes. Bien sûr, la vision du film provoquera aussi des moments ponctuels d’agacements - pourquoi tant de suppressions sauvages par rapport aux romans ?

Cependant, la toute première vision du film provoque l’émotion spécifique des retrouvailles. On regarde autour de soi, on détaille les spectateurs de tous âges qui sont venus costumés en pensionnaires de Hogwarts (pardon, Poulard) ou en Mangeurs de Mort. Quand les lumières s’éteignent, on surprend une certaine accélération de son rythme cardiaque. Et nous y sommes… les paysages d’Ecosse devenus familiers apparaissent ainsi que les personnages qu’on a côtoyés pendant tant d’heures de lectures (ou dans mon cas, d’écoute d’audio-livres en voiture).

Mais voilà, pour la sortie de HP7, nous avons involontairement manqué à toutes nos traditions.

Le film est sorti aujourd’hui, vendredi 19 novembre, et comme toujours, des séances spéciales ont été prévues à minuit. Nous avons acheté nos billets à l’ avance et avons compté les jours.

Jeudi soir, après une longue journée, j’écrivais quelques derniers emails quand Irvin a soudain réalisé. Notre séance de cinéma était le 19 novembre à minuit dix – cela voulait dire dans la nuit de jeudi à vendredi. Et non vendredi soir.
Après coup, ça parait évident, mais bon, à notre décharge, nous sommes tous les deux noctambules. Quand on est du soir, on a tendance à considérer que minuit est une sorte de fin d’après-midi encore attaché à la journée qui précède.
Il était minuit dix. Pétrifiés, nous avons échangé un regard, Irvin m’a demandé «tu veux y aller ?» et nous avons foncé.

Puyallup n’est pas exactement une ville très animée après 21h et nous n’habitons pas loin du cinéma. En dix minutes nous y étions. Son parking était bondé, mais les lieux étrangement déserts. Un jeune homme encapuchonné travaillait à changer les titres des films sur la façade en verre et il semblait être la seule âme en vue. Les doubles portes étaient toutes scellées.
«On ne peux pas entrer ??» ai-je crié, envisageant un instant un dégondage sans ménagement.
«Non, c’est commencé et tout est complet !» a-t-il répondu.
«Nous avons déjà nos tickets !»
Il a haussé les épaules. «Bon, allez-y, la porte à droite…»

Trouver notre salle a été compliqué par le fait que ce cinéma de quartier en comporte 14, et que les titres des films au-dessus des entrées ne correspondaient à rien – ces séances de minuit, inhabituelles, n’etaient pas mentionnées.

Finalement, nous nous sommes retrouvés dans la bonne salle, assis au tout premier rang, sous l’écran. Harry était déjà en plein ciel avec Hagrid et ça bardait sec (je n’en dis pas plus).

A mon avis, c’est le meilleur des 7 films. Le fait que, cette fois, le scenario suive pas à pas l’intrigue du livre y est bien sûr pour quelque chose. On retrouve l’intensité et l’ampleur de l’histoire. Les acteurs ont pris de la bouteille et sont parfaits.

Bref, nous sommes enchantés. S’agissant de sorciers, c’est bien la moindre des choses.

Thursday, November 18, 2010

5 nouveaux membres pour notre église.

Dimanche dernier, durant notre service, Church of the Indian Fellowship a officiellement accueilli 5 nouveaux membres – une augmentation notable (10% !) de notre nombre !

Devenir membre d’une église presbytérienne n’est pas une petite affaire. On devient membre en réaffirmant sa foi, ou par transfert d’une autre église presbytérienne, ou, si on n’a pas été préalablement baptisé, par baptême.

Chaque église doit conserver les registres de ses membres régulièrement mis à jour selon plusieurs catégories : membres actifs, membres inactifs et membres «affiliés», c'est-à-dire appartenant à une congrégation dans une autre région mais participant à votre église pendant la durée de leur séjour par chez vous – ça se fait sur présentation d’un certificat. Tout est détaillé dans le Book of Order[1].

En comparaison avec d’autres églises (par exemple l’Eglise Reformée de France, mon église coté français…) l’église presbytérienne est par certains aspects incroyablement minutieuse et organisée, ce qui est ma façon affectueuse de dire tatillonne et bureaucratique.

Bien sur, chacun peut contribuer à la vie des paroisses sans pour autant en être officiellement membres. Mais devenir membre signifie que l’on s’engage à s’impliquer plus avant spirituellement et concrètement dans la vie de l’église.
Les quatre femmes et le jeune homme qui ont pris cette décision malgré une vie très remplie par leur travail, leurs circonstances difficiles ou leurs nombreux jeunes enfants ont pris le temps de s’asseoir avec Irvin pour quatre séances de préparation.
April, qui est Navajo (à droite avec sa petite fille) a été baptisée- un moment émouvant durant lequel elle rayonnait littéralement de joie. Nicole, Tamika, Eleanor et Jesse ont réaffirmé leur foi.
La liturgie qui accueille ces nouveaux membres se termine par une action de grâce de la congrégation remerciant le Seigneur pour ces frères et sœurs qui vont partager notre cheminement.


[1] Voir “les sentinelles de l’ordination”, 25 septembre 2010.

Tuesday, November 16, 2010

Le métro qui n’existait pas

En 2001, quand Irvin et moi avons roulé de Dubuque (Iowa) à Tacoma (Washington) – trois jours de route – nos familles respectives nous ont accueillis avec chaleur et nous ont hébergé a notre arrivée, en attendant que nous trouvions où nous loger.

Au petit matin, dans la chambre d’amis de Charlie et Peggy à Tacoma, la vibration familière qui accompagne le passage d’un métro dans certains immeubles parisiens m’a réveillée. Il m’a fallu un instant pour réaliser que j’étais un peu loin de Paris pour percevoir le passage des rames. J’ai explique le phénomène à Charlie, l’oncle d’Irvin, et il a souri. «C’était un tremblement de terre. Je l’ai senti moi aussi.»

L’effet «métro» provient du glissement de la plaque océanique Juan de Fuca sous la plaque continentale Nord Américaine. Evidemment, il ne s’agit pas toujours d’une vibration discrète. Mais ce matin, à 30 km au sud de Tacoma, c’était a nouveau à peine perceptible dans notre quartier : 4,2 sur l’échelle de Richter et aucun dégât. Une fois de plus, c’est Charlie qui nous a prévenus. Nous n’avons rien senti à Puyallup.