Déjeuner dans un restaurant du quartier
avec mon amie Alison, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler.
Elle m’a prévenue, avant de se plonger
dans la consultation du menu, qu’elle avait quelque chose à me dire, sous le
sceau du secret.
Ah ?
Nous avons commandé, elle un
« Faburgé » (habile jeu de mots du Chef, combinant
« hamburger » et Fabergé, autrement dit un hamburger avec un œuf a
cheval) moi une salade exotique avec une brochette de viande.
Et puis, elle m’a révélé le secret en
baissant la voix.
« Je me suis inscrite à Weight
Watchers ».
Alison est une belle jeune femme
blonde, ronde et souriante, un chapelain très appréciée dans l’hôpital où elle
travaille.
J’ai ri.
« Wow, je suis choquée !
Et tu me dis ça - comme ça, sans aucun préambule ? Je crois que j’ai
senti un léger tremblement de terre quand tu as prononcé ces mots… »
Alison a ri elle aussi.
« OK, ce n’est pas un secret trop
sinistre, mais un secret quand même parce que je ne veux pas que ma famille le
sache. »
Sa famille habite sur la côte Est. Je
ne les ai jamais rencontrés.
Elle a poursuivi : « Tu sais
comment ils sont… »
Alison et moi étions « chaplain
interns », aumôniers stagiaires, quand nous nous sommes rencontrées, donc
nous savons beaucoup de choses l’une sur l’autre. Une grande part de ces stages
consiste à parler de nos familles et analyser ensemble nos réactions en
présence de patients pour comprendre comment notre passé nous influence.
Les parents d’Alison, éminents, élégants
et bien sûr minces, ont toujours considéré les rondeurs de leur fille avec
tristesse et désapprobation.
« Oui, je me souviens, mais
justement, ils seraient contents de ta décision, non ? »
« Exactement. Ils vont espérer
qu’en quelques mois je devienne une gazelle et la prochaine que nous nous
verrons, ce sera « tiens, je pensais que tu aurais perdu plus de poids,
que ca se verrait d’avantage… tu es sure que tu fais les choses comme il
faut ? » Je préfère ne rien dire. »
Une fois ce point acquis, nous avons
parlé de Weight Watchers.
« Je crois que c’est quelque chose
que je peux faire », dit Alison gaiement, tout en dévorant son Faburgé.
Elle était a jeun depuis la veille. Le jaune s’épanchait généreusement
dans son assiette. Ma salade se révélait décevante.
« Alors, tu as des points, une
trentaine par jour, qui sont calculés en combinant les calories, les grasses saturées,
les sucres et protéines de chaque aliment. Les légumes et fruits sont gratuits,
enfin 0 point. Il ne faut pas abuser, évidemment…. »
J’ai souri en regardant son assiette.
« Et après avoir mangé ça, tu sais
combien de points il te reste pour ce soir ? »
« Non, en fait je n’ai pas encore
regardé. Je voulais jeter un œil ce matin… mais j’ai été appelée aux urgences
plusieurs fois. Attends, on peut le faire avec un téléphone… »
Elle a sorti son iphone.
Instinctivement, j’ai saisi mon Android. J’ai cherché « nutritional values
– hamburger with egg » et je lui ai donne les chiffres.
« Calories : 1200… (petit cri
étouffé de Alison) Saturated fat : 225g… Sucre …. Proteines 67 gr… »
« ça, c’est bien, ça va faire diminuer les points »
Après un instant, Alison a regardé l’écran
de son téléphone, choquée. « 89 points !!! »
« Tu te rends
compte ! Je viens de manger trois jours de points avec ce stupide
burger ! »
Moment de silence pendant lequel elle a
continué à regarder l’écran…..
Quelques jours plus tard, coup de fil d’Allison.
« Pad Woon Seen ! »
a-t-elle annoncé sans préambule.
J’ai cru un instant qu’elle s’était mise
à parler français et m’annonçait qu’il n’y avait « pas de…. » Mais en
fait, elle partageait une bonne nouvelle.
« C’est un plat Thai, des nouilles
– des vermicelles de riz en fait. Avec des légumes, des morceaux de poulet,
crevettes, ce que tu veux. Tu trouves ça dans tous les restaurants thaï des
environs… »
Notre région étant la plus proche du
continent asiatique, nous avons des restaurants d’inspiration japonais, thaï,
vietnamiens ou coréens un peu partout.
« Je peux aussi trouver des
recettes en ligne, a ajouté Allison. L’important, c’est qu’il reste des choses
que j’aime et que je peux manger. Tu sais combien de points pour un Pad Woon
Sen, une pleine assiettée ? 11 ! 11 petits points ! »
Je l’ai entendue soupirer d’aise avant
de poursuivre.
« L’important, surtout quand on a
faim… c’est de pouvoir penser à quelque chose qu’on aura plaisir à manger… Impossible
de faire un régime longtemps si on n’a pas ça. »
Elle a raison. Un régime – ou un effort
dans tout domaine – ne peux durer longtemps sans espoir.