Thursday, January 24, 2013

Bientôt je serai comme elle.


J’ai commencé la semaine par une chirurgie ambulatoire: il s’agissait d’extraire le ganglion «sentinelle», et d’insérer le cathéter pour la chimio à venir. Avant l’intervention, j’avais reçu plusieurs injections d’une substance irradiée, dans le but de suivre toute influence cancéreuse sur le ganglion sentinelle. C’était une procédure rapide et désagréable, qui a cependant eu des effets secondaires amusants les jours qui ont suivi. Qui n’a rêvé, un jour ou l’autre, de faire pipi en couleurs pastels ou aigue-marine ?

Le réveil fut laborieux. Je n’étais pas seule aux commandes. Mon corps, rebelle et obstiné, insistait pour se faire entendre de son coté. Ce qui produisit le résultat suivant :

Infirmière : comment vous sentez-vous, honey ? (les infirmières utilisent volontiers des petits noms affectueux pour parler à leurs patients)
Moi : J’ai un peu la tête qui tourne…
Mon corps : C’est un scandale ! Je proteste ! Qu’est-ce qu’on m’a fait ? J’ai mal au cœur !

Infirmière : Voilà, j’ai ajouté un médicament anti-nausée dans la perfusion. Essayez de manger ces crackers, ca aidera.
Moi : Merci.
Mon corps : si tu mâchonnes un seul cracker, tu le regretteras amèrement.

Moi : désolée…
Infirmière : ce n’est rien, honey. Nous avons tous les jours des patients qui ont des vomissements explosifs.  
Mon corps : Je t’avais prévenue. A propos, je vais recommencer dans la voiture sur le chemin du retour.

Le lendemain, toute la région de mes clavicules était endolorie but j’avais pu dormir et je n’avais plus mal au cœur. Le moment était venu pour une autre forme de traumatisme : la préparation à la chimio, en l’occurrence les explications données par l’assistante de la cancérologue, qui vous prévient de tous les effets secondaires possibles. Bien sur, ils sont nombreux. Epiderme irrité, système digestif exaspéré, douleurs diffuses dans les articulations… A la moindre infection, je dois etre vue rapidement par un médecin, sous peine de me retrouver en soins intensifs, car mon immunité sera sur la touche.

J’étais terrifiée en repartant avec Irvin. Mais j’avais aussi des pensées auxquelles je pouvais me cramponner. Tout cela ne va durer que quelques semaines. Au printemps, peut-être vers la fin du mois d’avril, ce sera fini. J’ai rencontré une amie dans la salle d’attente. Elle m’a serrée dans ses bras, désolée de me voir embarquer pour un voyage qui lui est bien trop familier. Mais elle est en rémission à présent et elle venait pour ses prises de sang de contrôle biannuelles. Bientôt, je serai comme elle. 


Sunday, January 20, 2013

Combat singulier


Dimanche était aussi la première fois que j'allais à l'église depuis le diagnostic de cancer. J'ai reçu des hugs et des paroles réconfortantes, et des larmes aussi de paroissiens pris de court par la nouvelle. La congrégation m’a entourée pour prier pour moi, posant leurs mains sur mes épaules et ma tête, tandis qu'Irvin marquait mon front d'un signe de croix avec un peu d'huile bénite. Je me suis sentie portée par les prières comme par un réseau imperceptible de fils de lumière. Je ne suis pas seule dans ce voyage non désiré.

Vendredi soir, j’ai reçu les résultats de tous les examens de la semaine. Une infirmière a pris ma tension avant que la cancérologue ne nous rejoigne. Elle a paru surprise du résultat. «Vous faites de l’hypertension ?» J’ai souri. «Non. J’ai peur.» Elle a eu l’air sceptique et a recommencé la procédure, sans doute pour trouver le même résultat, car elle n’a plus rien dit.
Les résultats heureusement étaient bons. Pas de tumeur nulle part – sauf, peut-être, une petite près de celle d’origine. Demain lundi, on prélèvera le «ganglion sentinelle», on posera le cathéter qui servira pour la chimio, et ce sera l’occasion de prélever des tissus pour en avoir le cœur net du coté de cette possible deuxième tumeur, qui, si elle existe, sera en tout état de cause balayée par la chimio et les rayons à venir.
J’ai senti les effets du soulagement, douces cascades de détente en vagues successives, tout au long de la soirée. Affronter une petite tumeur bien localisée, agressive ou pas, découverte tôt, je me sens de taille. 

La dernière bataille des Faucons de Seattle


Dimanche dernier, toute notre région a retenu son souffle... Peu de voitures dans les rues. Nous avions des absents à l'église. Les présents étaient un peu distraits, riant nerveusement et consultant leur téléphone portable régulièrement. Dimanche à 10h, l'équipe de football américain de Seattle, les Seahawks, avaient un match important. J'ai déjà eu l'occasion de parler du football américain, si exotique pour nous français. Les Seahawks ne sont en général pas les meilleurs, et ils ne vont pas très loin dans la saison qui se termine avec le Superbowl en février. Ca me les a rendus sympathiques - je suis française donc je trouve les perdants intéressants. Mais cette année, boostés par la présence de nouveaux joueurs jeunes et doués, les Seahawks se sont surpassés. Ce match, dimanche, était un peu l'équivalent d'une demi-finale. Les supporters des Seahawks, ravis et incrédules, ne voulaient pas en perdre une miette.
Je m'intéresse à ce jeu. Je commence un peu à mieux comprendre l'action - et  je côtoie tant de passionnés !  La brutalité m'étonne (les joueurs parfois s'empoignent ou s'attrapent mutuellement avec une volonté farouche de récupérer le ballon) et je demande à Irvin "ont-ils le droit de faire ca?". En général, la réponse est oui. Mais le joueur ne doit pas aller jusqu'a "unnecessary roughness" autrement dit «brutalité non nécessaire». La frontière entre nécessaire et gratuit n’est pas facile à définir…

Quand nous sommes repartis de l'église, le match n'était pas terminé. Irvin et moi suivions le commentaire à la radio, et même après 12 ans sur le continent américain, je ne peux pas comprendre ce qui se dit, avec le débit rapide des commentateurs et le jargon qui m'est totalement étranger. J'entendais les spectateurs rugir et je demandais fébrilement à Irvin "what’s going on???" Le match a été un vrai suspense jusqu'a la toute dernière seconde. Hélas, les Seahawks se sont inclinés. Même avec le son seulement, c'était un peu triste... 


Wednesday, January 16, 2013

Un OVNI entre deux nuages


Le temps est inhabituel ces temps ci. Première anomalie : il ne pleut pas. Le temps est sec et ensoleillé. Deuxième anomalie : il fait froid jour après jour. Aujourd’hui, nous avions du brouillard, et cela a donné des résultats oscillant entre poésie et science fiction : une soucoupe volante apparaissant au-dessus de Seattle, apparaissant entre des nuages pastels. Eh oui, notre bonne vieille Space Needle ne déteste pas se faire passer pour un vaisseau spatial émergeant du néant. L’occasion d’une photo spectaculaire (par Adam Koczarski) parue dans la presse locale.




Scrutée comme jamais, la suite


Les examens continuent. Ce matin, c’était le tour du scanner, qui a requis un effort presque surhumain : impossible, dans les 24 heures précédant l’examen,  de consommer produits laitiers, sucres, fruits,  féculents ou caféine. Pas de pain, pas de fromage, pas de yaourt… pas de chocolat… comme je l’ai dit à Irvin «c’est toute la fondation de ma pyramide alimentaire qui m’est interdite !» Je me suis contentée de mâchonner nostalgiquement des salades et du poulet rôti… L’examen en lui-même nécessite l’injection d’un produit radioactif. Indolore, mais on ne peut s’empêcher d’etre inquiet en voyant approcher une seringue dotée de sa propre armure de plomb. Le scanner ressemble à l’IRM, en silencieux.

Faire la comparaison était facile : une IRM du cerveau était à l’ordre du jour en début d’après midi, et malgré l’equivalent américain de boules Quiès, oui, c’était strident. Pour passer le temps (l’examen dure 45 minutes, en deux parties) j’ai essayé de cataloguer les bruits divers. Nous avons donc eu : la rave techno pour commencer, puis une farandole d’alarmes de portes de RER plus ou moins déchirantes, suivie d’un concert de marteaux-piqueurs, aux tonalites différentes, semblant se répondre les uns aux autres et allant parfois jusqu'à ébranler l’appareil. Et, s’intercalant, des sons isolés divers, claquements de portes ou étranges croassements.  J’ai apprécié le petit miroir qui permet de voir l’extérieur du tube. Ou que l’on soit, même pour moins d’une heure, il est toujours bon d’avoir en vue le bout du tunnel.
A suivre… 

Tuesday, January 15, 2013

Musique techno et IRM


L’impression d’une rave techno dans la pièce à coté: c’est ce que j’ai pensé spontanément quand je me suis trouvée en présence de l’IRM. C’était lundi matin.

Toute cette semaine, je vais aller d’IRM en scanners. Il s’agit de trouver d’éventuelles tumeurs dans d’autres parties de mon corps. La cancérologue vue vendredi a décrypté pour moi les résultats de la pathologie. La tumeur fait un centimètre, pas plus, mais la taille n’est plus un facteur aussi déterminant que par le passé. 
Plus pertinent est le fait que la tumeur réagit à certaines hormones, ce qui donne la bougeotte aux cellules cancéreuses. Il faut agir vite et fort pour les empêcher de migrer dans d’autres régions. 
Je vais avoir besoin de chimiothérapie, avec tout son cortège déplaisant d’effets secondaires. Je ne suis pas ravie – c’est peu de le dire.

Mais avant toute chose, il faut savoir si la tumeur a fait ou pas des émules… Et c’est ainsi que je me suis trouvée en présence de ce grand tube blanc, au son d’une musique rythmée dont je percevais surtout la batterie. «C’est le bruit de la machine au repos, me dit la technicienne. C’est une sorte de pompe, en fait. Vous verrez, quand vous serez dedans, c’est encore plus bruyant.» 

Elle a déposé des écouteurs sur mes oreilles, connectés à la station radio de mon choix, avant que je ne glisse au milieu du tube. J’ai passé une demi-heure plutôt confortable, avec la rave techno tout autour, des chansons dans mes oreilles, et de temps a autres des bruits stridents qui évoquaient précisément la sonnerie des portes du RER sur le point de se fermer. Ca ne m’a pas empêché de m’assoupir et j’ai fait des rêves étranges.

Demain, j’ai un scanner et une autre IRM, du cerveau cette fois. Les résultats seront connus vendredi soir, lors d’un autre rendez-vous avec la cancérologue.

Chou blanc : c’est ce que je me souhaite - que tous ces rayons et ondes magnétiques fassent chou blanc. A suivre… 

Saturday, January 12, 2013

Ode aux mammographies


Est-ce le cas en France ? Aux USA, certains ont critiqué les mammographies récemment. En plus d’etre oppressantes, ce qu’aucune femme ne contestera, les ‘mammos’ seraient imprécises et génèreraient trop de résultats faussement positifs, créant des stress inutiles pour des patientes en pleine santé. 

Le fait est, je préfère affronter  plusieurs «faux positif» plutôt que de risquer de manquer un «vrai positif». En France, ma mère et, ma meilleure amie Béatrice, ont toutes deux reçu de tels diagnostics détectés suffisamment tôt pour leur permettre un traitement par radiation et non chimiothérapie. Elles sont aujourd’hui débarrassées du cancer - et en vie.

C’est ce que je me souhaite. J’ai appris cette semaine que moi aussi,  j’avais à faire avec un diagnostic positif. Le petit nodule de cellules précancéreuses détectées lors de ma mammo de contrôle en Novembre dernier cachait une tumeur longue d’un centimètre appelée «invasive ductal carcinoma». Le tout a été extrait le 31 décembre dernier et analysé. C’est ainsi que la tumeur a été trouvée. 

Ce matin, le chirurgien me disait pensivement «c’est un cancer étrange, inhabituel». J’en sais trop peu sur les cancers en général pour comprendre la différence entre un cancer étrange et un cancer «normal», si une telle chose existe. 

Mais j’ai conscience que j’entame un nouveau chapitre, une expérience inédite. J’étais (je suis toujours) un aumônier, écoutant les patients qui souhaitent me parler. Je vais me trouver de temps à autres à la place du patient. Je ferai de mon mieux pour faire en sorte que ce chapitre soit riche en enseignements, par exemple sur la façon dont je peux m’efforcer de dominer ma peur et faire face à l’inattendu.

Le chirurgien m’a dit, tandis qu’il m’envoyait à un cancérologue que je verrai ce soir pour la première fois «vous êtes aux commandes. Vous êtes  le conducteur de ce processus. Nous, médecins, travaillons pour vous. Ne laissez personne intervertir les rôles.» Ca m’a plu.

Et j’apprécie également d’avoir à affronter aujourd’hui une tumeur d’un centimètre et non, au milieu (par exemple) de l’année 2015, un monstre à têtes multiples. 
Grace à une mammographie. 

Tuesday, January 1, 2013

Traverser le torrent



Un rêve me conduisit à la prière. Je vis une passerelle – tel un sentier au-dessus d’un torrent, solide mais étroit, un endroit choisi et beau. Là, un ancien montait la garde, enjoignant les voyageurs à déposer leurs fardeaux avant de traverser. 

La vision est simple et claire. Laissons derrière nous le plus de choses possibles, de ce coté-ci du temps, avant de traverser vers demain. Parvenons à la fin de cette année sans regret, inquiétude, peur ou colère. Détachons-nous de ce qui doit être abandonné afin que nos pas aient la légèreté de l’espoir innocent, nos cœurs aussi libres que peut l’être l’émotion du premier amour. – Paroles du Reverend Steven Charleston, membre de la tribu Choctaw.

9 heures après la France, nous entrons à notre tour dans l’année 2013.
Bonne Annee à tous !