J’ai commencé la semaine par une chirurgie ambulatoire: il s’agissait d’extraire
le ganglion «sentinelle», et d’insérer le cathéter pour la chimio à venir.
Avant l’intervention, j’avais reçu plusieurs injections d’une substance irradiée,
dans le but de suivre toute influence cancéreuse sur le ganglion sentinelle. C’était
une procédure rapide et désagréable, qui a cependant eu des effets secondaires
amusants les jours qui ont suivi. Qui n’a rêvé, un jour ou l’autre, de faire
pipi en couleurs pastels ou aigue-marine ?
Le réveil fut laborieux. Je n’étais pas seule aux
commandes. Mon corps, rebelle et obstiné, insistait pour se faire entendre de
son coté. Ce qui produisit le résultat suivant :
Infirmière : comment vous sentez-vous, honey ?
(les infirmières utilisent volontiers des petits noms affectueux pour parler à
leurs patients)
Moi : J’ai un peu la tête qui tourne…
Mon corps : C’est un scandale ! Je proteste ! Qu’est-ce qu’on m’a
fait ? J’ai mal au cœur !
Infirmière : Voilà, j’ai ajouté un médicament anti-nausée dans la
perfusion. Essayez de manger ces crackers, ca aidera.
Moi : Merci.
Mon corps : si tu mâchonnes un seul cracker, tu le regretteras amèrement.
Moi : désolée…
Infirmière : ce n’est rien, honey. Nous avons tous les jours des
patients qui ont des vomissements explosifs.
Mon corps : Je t’avais prévenue. A propos, je vais recommencer dans la
voiture sur le chemin du retour.
Le lendemain, toute la région de mes clavicules était endolorie but j’avais
pu dormir et je n’avais plus mal au cœur. Le moment était venu pour une autre forme
de traumatisme : la préparation à la chimio, en l’occurrence les
explications données par l’assistante de la cancérologue, qui vous prévient de
tous les effets secondaires possibles. Bien sur, ils sont nombreux. Epiderme
irrité, système digestif exaspéré, douleurs diffuses dans les articulations… A
la moindre infection, je dois etre vue rapidement par un médecin, sous peine de
me retrouver en soins intensifs, car mon immunité sera sur la touche.
J’étais terrifiée en repartant avec
Irvin. Mais j’avais aussi des pensées auxquelles je pouvais me cramponner. Tout
cela ne va durer que quelques semaines. Au printemps, peut-être vers la fin du
mois d’avril, ce sera fini. J’ai rencontré une amie dans la salle d’attente. Elle
m’a serrée dans ses bras, désolée de me voir embarquer pour un voyage qui lui
est bien trop familier. Mais elle est en rémission à présent et elle venait
pour ses prises de sang de contrôle biannuelles. Bientôt, je serai comme elle.