« … pendant
des siècles, la science a persisté à traiter le cœur comme un organe composé de quatre chambres distinctes, alors qu’il a une dimension de plus.
Le cœur est
aussi un muscle d’un seul tenant, tourné sur lui-même en un élégant nœud
gordien qui, à chaque battement, pompe le sang, l’envoie dans le corps et le
reçoit en retour.
Dans le cours d’une seule journée, le cœur adulte bat plus de
86 000 fois… Même le cœur d’un bébé qui ne vit que 42 jours battra plus de 6 millions
de fois avant son imperceptible pulsation finale. »
Rebecca Gummere –
un nom à garder en mémoire, tant son écriture et sa sincérité retiennent
l’attention – commence ainsi un essai paru dans un magazine américain[1].
Au début des années
80, Rebecca a eu un bébé, un petit garçon. Une anomalie cardiaque a été aussitôt
diagnostiquée et le nourrisson a été opéré. Rebecca et son mari ont ramené leur
bébé chez eux, il a pris du poids, tout semblait aller bien. Jusqu’au soir où
il est devenu léthargique et si froid… Avant même que Rebecca puisse aller aux
urgences, le petit garçon est mort. Il avait 42 jours.
Lorsqu’un décès intervient
à la maison, l’autopsie est obligatoire aux USA. Les parents foudroyés ont dû
signer les autorisations nécessaires.
La douleur du
deuil et la vie qui malgré tout continue. L’année suivante, Rebecca donnait
naissance à une petite fille vigoureuse et en parfaite santé. Mais les
questions lancinantes poursuivaient cette jeune femme active dans son église.
Où était Dieu dans ce drame ? Où était son petit garçon ?
Parce qu’elle
avait besoin de réponses, elle entra au séminaire. Au détour d’un verset en hébreu,
sous un mot clef en grec, Rebecca cherchait le sens du drame qu’elle avait vécu.
Sans jamais le trouver.
Sur le chemin de
l’ordination, tout comme ce fut le cas pour moi, elle s’est retrouvé chaplain
intern, aumônier stagiaire dans un hôpital. Lors d’une séance de formation, un médecin
du département médico-légal est venu parler de son métier à son groupe. En
voyant les formulaires qu’il avait amené à titre d’exemple, elle a reconnu sa
signature. Ce médecin était celui qui avait effectué l’autopsie de son bébé des
années auparavant.
Elle lui a demandé
rendez-vous. Il l’a reçue dans la grande salle où il pratiquait son métier,
parfois sous le regard d’étudiants en médecine à qui il montrait des organes
aux défaillances remarquables qu’il conservait pour eux au fils des ans.
Reprenant avec
elle son rapport d’autopsie, il lui en expliqua tous les détails. Après un
moment de silence, il poursuivit, « le cœur de votre bébé est toujours ici…
Voulez-vous le voir ? »
Rebecca éprouva
une telle joie à cette perspective qu’elle en resta saisie, comme des
retrouvailles inconcevables et soudain rendues possibles.
Le médecin plaça
le tout petit organe dans ses mains. Et Rebecca sentit cette blessure restée béante
en elle se cicatriser. A présent, elle savait où était son bébé… Il était dans
cette pièce… à enseigner…
« Est-ce que
je crois que Dieu m’a conduit dans cet hôpital pour que je trouve le cœur de
mon bébé ? » écrit Rebecca. « Oui. Non. Je ne sais
pas. »
Rebecca depuis a quitté ses études au séminaire et se décrit désormais comme vivant bien au-delà des églises, aux frontières de la foi. « Il n’y a pas de réponses. » ajoute-t-elle. « Mais il y a l’amour, le type d’amour qui nous lie les uns aux autres d’une façon qui dépasse notre compréhension, fait disparaitre l’éloignement, fondre le temps et déchire la membrane entre les vivants et les morts.
J’aime penser que
nous faisons partie, tous, d’un organe comportant de multiples chambres, un
organe que l’amour construit continuellement…. Parfois un son encore jamais
perçu provient d’une des chambres, sans faire de bruit, et au-delà de notre compréhension,
ce son est reçu comme une vibration le long du lien invisible qui nous
connecte. Nous sommes troublés, nous sommes remués, et nous ne savons pas trop
pourquoi, mais quelque chose en nous répond. »