Friday, February 3, 2012

Les questions essentielles


Toujours dans l’attente de nouvelles de la residency… qui devrait venir dans le courant de ce mois de février. Même si je me répète que la décision ultime ne m'appartient pas (après tout, dans mon secteur professionnel, le Très Haut a le dernier mot) l’aumônerie reste mon premier choix.


Ce stage à l’hôpital cet été a été thérapeutique : j’ai appris à me défaire d’anxiétés et de peurs latentes. L’inquiétude de ne pas être à la hauteur en présence de circonstances tragiques, la crainte d’ajouter par maladresse à la douleur d’une famille en deuil – voilà les appréhensions qui me taraudaient. Et ironiquement, la vraie difficulté, ce fut de trouver un patient disponible qui ait envie de parler. Une fois le contact établi, quelque soit les circonstances - même graves - le soutien que j’espérais apporter, les mots échangés avec le patient, la famille, tout cela était fluide, essentiel, sans obstacle. Etre aumônier, ai-je réalisé, ce n’est pas tant agir d’une certaine façon, prononcer certaines paroles, etre aumônier, c’est avant tout… être là.


- De quoi parlez-vous avec ces patients sur le point de mourir ? demanda un jour un professeur de théologie à une de ses étudiantes de 26 ans, en stage dans un service de cancérologie.


Elle hésita et répondit : «nous parlons de leur famille, principalement… » Le professeur eut l’air surpris :


- Vous parlez de Dieu ?

- Parfois. Rarement.

- Du sens de leur vie?

- Ça arrive.

- Et la prière? Vous leur offrez un rituel, vous les guidez vers une prière?

- De temps a autres. Pas toujours.



Kerry Egan, l’étudiante, sentit la dérision pointer dans la voix de son professeur.


- Donc vous visitez ces malades et vous vous contentez de leur parler de leur famille ?

- En fait, ce sont eux qui parlent. Moi j’écoute.


Le professeur eut l’air dubitatif. Une semaine plus tard, raconte Kerry, au milieu d’un de ses cours, devant une classe pleine, le professeur mentionna la conversation.


« J’ai un jour bavardé avec cette étudiante en stage d’aumônerie à l’hôpital, commença-t-il. Et je lui ai demandé, ‘que faites-vous exactement ?’ Et vous savez ce qu’elle m’a répondu ? ‘Je parle aux patients de leur famille’. Il fit une courte pause pour insister sur ce qui allait suivre. «Et voila toute la profondeur spirituelle de cette étudiante ! Parler des familles des patients !»


Les étudiants se mirent à rire. Kerry sentit la honte l’envahir. Le professeur poursuivit « Et je me suis dit que si j’étais malade dans un hôpital, si j’étais mourant, la dernière personne que je voudrais voir à mon chevet est une étudiante en théologie voulant me parler de ma famille !»


« Aujourd’hui, 13 ans plus tard, je suis un chapelain, poursuit Kerry Egan dans un article passionnant [1]. Si vous me posiez la même question, de quoi parlent les mourants, je ferais la même réponse. Ils parlent le plus souvent de leur famille, de leurs proches. Ils parlent de l’amour qu’ils ont reçu, de l’amour qu’ils ont donné. Ou pas donné. Ils parlent de ce qu’ils ont appris à propos de l’amour. Dans leurs dernières paroles, ils appellent souvent leurs parents.


« Ce que je serais capable d’expliquer à ce professeur aujourd’hui, c’est que ces patients parlent de leur famille parce que c’est ainsi que nous parlons de Dieu. C’est ainsi que nous parlons du sens de notre vie. C’est ainsi que nous parlons des grandes questions spirituelles de l’existence. Nous vivons nos vies au sein de nos familles, celles où nous sommes nées, celles que nous choisissons, pas dans nos têtes au milieu de théories et de réflexions théologiques.


«La famille est le lieu où nous apprenons ce qu’est l’amour. C’est probablement l’endroit où nous sommes blessés pour la première fois par quelqu’un que nous aimons, et dans le meilleur des cas, l’endroit où nous apprenons que l’amour peut surmonter le rejet le plus douloureux.


« Parfois l’amour est imparfait, parfois l’amour est même complètement absent. Des choses monstrueuses peuvent survenir au sein de familles. Même dans ces situations, je suis impressionnée par la force de l’âme humaine. Ceux qui n’ont pas reçu d’amour ont conscience qu’ils auraient dû être aimés. En présence d’un amour destructeur ou absent, quelque chose d’autre peut etre appris : le pardon. Le travail spirituel de chaque être humain, c’est d’apprendre à aimer et à pardonner.


« Nous n’avons pas besoin d’un vocabulaire théologique pour parler de Dieu, conclut Kerry. Ceux qui sont près de la mort n’utilisent pas de tels mots. Les mourants nous enseignent que la meilleure façon d’apprendre Dieu à nos enfants est de nous aimer les uns les autres complètement, et de pardonner entièrement – de la même façon que nous avons besoin d’être aimé et pardonné par nos proches. »


Qui est ton prochain ? lit-on dans les Evangiles. Celui que je peux accompagner au milieu de ces moments océaniques où la vie change et parfois se termine. Celui qui me fait découvrir où je peux trouver les réponses essentielles que la vie me pose.




[1] ." http://religion.blogs.cnn.com/2012/01/28/my-faith-what-people-talk-about-before-they-die/

1 comment:

  1. Kerry a bien fait de résister à cet enseignement dogmatique, qu'elle transmette maintenant sa théologie est le plus beau cadeau qu'elle puisse faire aux étudiants d'aujourd'hui.

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