« Venez au diner.
Si vous n’avez rien d’autre de prévu, je vous le demande, venez. »
Ainsi parlait Marilyn,
la mère de Daniel, le mois dernier. Même si j’avais eu un autre engagement, je
serais venue. Daniel, son fils, était mort deux ans plus tôt. Il avait à peine
40 ans. J’avais présidé à ses obsèques. Les premières obsèques
que j’ai jamais célébrées en tant que Pasteur.
Daniel avait vécu
entouré et adoré par ses parents, ses enfants et sa sœur. L’amour était réciproque.
Il aimait sa famille, se rendait utile, était le confident de nombre d’entre
eux. Mais Daniel avait aussi le plus grand mal à se débarrasser de son
addiction. Parfois il était en prison – et nous priions pour lui. Puis il
sortait et je le revois, assis calmement dans l’eglise aux cotés de sa mère. Il
se sentait mieux. Il s’en sortait. Jusqu’au jour où il disparaissait à nouveau.
Il y a un peu plus de deux
ans, il marchait dans la rue avec agitation. Il venait de passer trois jours à
l’hôpital pour une blessure à la main. Les médicaments reçus, particulièrement
les antidouleurs, eurent des effets inattendus. Il délirait. Il s’engouffra dans
une scierie à ciel ouvert.
Les lieux etaient déserts
mais des voisins l’ont aperçu, se sont inquiété pour lui, la police fut appelée.
Il était monté au sommet d’une pile de rondins.
Deux policiers l’ont questionné
de loin. Il eut un geste, dirent-ils. Ils se sont sentis menacés et ont tiré,
tuant Daniel. Il n’était pas armé.
Immense douleur de la
famille, sentiment d’injustice aussi lorsque les poursuites contre les
officiers furent rapidement abandonnées. « La police a été appelée pour l’aider !
répétait sa mère. Il ne mettait personne en danger. Ils sont arrivés et à peine
quelques minutes plus tard, Daniel était mort. » Il y eut des
manifestations devant le commissariat, pour lui et d’autres, morts dans des
circonstances semblables. La mère et la sœur de Daniel sont allées à New York
pour des événements rassemblant les victimes de violence policière – de victimes
à la peau toujours foncée.
C’était il y a deux
ans. Ce diner en avril, dans le Fellowship Hall de l’eglise, commémorait la vie
de Daniel, une tradition Native. Des photos de lui, sur une table, avec de
fausses bougies (une bonne précaution dans notre eglise qui date de 1949 et brulerait
rapidement en cas d’étincelle).
Une fois la nuit tombée,
Marylin m’a guidée vers la pelouse qui entoure le bâtiment. « Viens, nous
allons tous allumer des lanternes ! »
Ce que je ne savais
pas, c’est que ces lanternes etaient des sortes de mini-montgolfières. Une fois
le socle en bois et tissu enflammé, l’air chaud remplit l’intérieur de la construction
en papier, qui ensuite s’élève vers le
ciel.
Voici exactement ce
qui s’est passé dans mon esprit :
En une seconde, j’ai imaginé une lanterne s’échouant
sur le toit de l’église, mettant le feu au vieux grenier, une autre percutant
une ligne a haute-tension (tous les câbles sont a ciel ouvert, de poteaux en
poteaux dans notre région), une troisième atterrissant sur l’autoroute voisine
et provoquant un accident…
Tony, un des Elders de
l’église, dont il est le gardien depuis toujours, et cousin éloigné de Daniel a
croisé mon regard. Il était inquiet aussi. « Daniel et ses amis ont fait
la fête ici il y a 20 ans… Ils ont mis le feu à ce sapin là (un immense sapin
en contrebas, bordant le cimetière). J’ai essayé de l’éteindre mais le feu était
trop haut dans les branches. Mon tuyau d’arrosage ne pouvait pas l’atteindre… »
Mon sang n’a fait qu’un
tour et… j’ai vu les lanternes prendre doucement de l’altitude…
glisser vers le ciel qui ce soir là, le
seul de la semaine, était sans nuage. J’en ai même allumé une avec Tony.
Tony allume une des lanternes. Je suis censee l'aider mais je prends des photos.... |
C’était
un spectacle d’une grande beauté.
J’ai souri à Marylin qui allait d’un groupe à l’autre, aidant les dernières lanternes
a prendre leur envol. « J’ai vu ces lanternes lors de la célébration d’une
autre victime à New York » m’a-t-elle dit. « Elles étaient blanches.
Je voulais qu’elles soient bleues ce soir, c’est la couleur de Daniel… »
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