Saturday, May 27, 2017

Courage et suicide

Courage et suicide. Deux mots qui sont rarement associés. Au contraire, on entend parfois des commentaires, quand un suicide a eu lieu, sur « la lâcheté » du disparu et de la peine qu’il cause à sa famille.

Les familles, les survivants de suicides et ceux qui travaillent avec au plus près avec les personnes atteintes de dépression ont une opinion différente. 

Ils parlent de lutte de tous les instants, de la certitude qui grandit que l’on va en fait rendre service au monde et à sa famille en les débarrassant de sa personne, de souffrances dont personne ne soupçonne l’intensité. Récemment, je lisais qu’un mouvement se faisait dans le pays pour ne plus dire que quelqu’un « commet un suicide » mais « meurt de suicide » (commit suicide – die of suicide) car ce n’est pas tant la personne qui agit que le suicide qui s’empare d’elle.

En tout état de cause, j’ai été frappée par ce poster, vu sur facebook, et que j’ai mis sur ma page il y a quelques temps. En voici la traduction.

Je suis un thérapeute et j’ai mis ce poster dans ma salle d’attente. Apparemment, il a sauvé quelques vies.

Je n’aime pas les mots « Un appel à l’aide ». Je n’aime pas la façon dont ca sonne. Quand quelqu’un me dit : « Je pense au suicide. Je sais comment faire. J’ai juste besoin d’une raison de ne pas le faire », la dernière chose que je vois, c’est l’impuissance.

Je pense alors : la dépression t’a dévoré depuis des années, elle t’a appelé moche, stupide, et lamentable, et raté, depuis si longtemps que tu as oublié que ce n’était pas vrai. Tu ne vois plus aucune  chose positive en toi et tu n’as aucun espoir.

Mais pourtant, te voilà : tu es venu me voir, tu as frappé à ma porte et tu as dit « Hé ! Rester en vie est vraiment difficile en ce moment ! Donne-moi juste quelque chose pour me battre ! Ca m’est égal si c’est un bâton ! Donne-moi un bâton et je peux rester en vie ! »

Qu’est-ce qu’il y a d’impuissant la dedans ? Je trouve que c’est incroyable ! Tu es comme un commando, coincé depuis des années en terre ennemie, on t’a pris ton arme, tu n’as plus de munitions, tu es mal nourri , et tu as probablement attrapé un de ces virus de la jungle qui te fait voir des hallucinations d’araignées géantes.

Et tu continues à avancer et à dire « DONNE MOI UN BATON ! JE NE VAIS PAS MOURIR ICI ! »

« Un appel à l’aide », ca donne l’impression que je suis censé avoir pitié de toi, mais tu n’as aucun besoin de pitié. Ce n’est pas pitoyable. C’est la volonté de survivre. C’est comme ça que les humains ont vécu suffisamment longtemps pour devenir l’espèce dominante.

Sans aucun espoir, sans aucune énergie, tu es prêt a traverser cent kilomètres de jungle hostile avec rien qu’un bâton, si c’est ce qu’il faut faire pour te mettre a l’abri.

Tout ce que je fais, c’est donner des bâtons.

C’est toi qui fais en sorte de rester en vie.
     

Sunday, May 21, 2017

Le Jour de la Mère

Anna Jarvis
Imaginez que vous créez quelque chose de nouveau, avec grand succès : tout le pays l’adopte en quelques années. Mais vous passez tout  le reste de votre vie – plus de 30 ans - à vous battre contre votre création, ce qu’elle est devenue, au point que vous êtes arrêtée pour « disturbing the peace » peu de temps avant de mourir.

C’est ce qui est arrivée à Anna Jarvis,  et c’est l’histoire douce-amère de la fête des mères aux USA.

La mère d’Anna Jarvis était une ardente pacifiste qui se préoccupait des blessés de guerre quelque soit leur nationalité. L’année de sa mort, 1905, sa fille commença à faire campagne pour la création d’un jour consacré  à « la personne qui aura plus fait pour vous que quiconque » autrement dit, la mère de chacun.

Pour continuer l’œuvre de sa mère, elle fonda un club, « Mother's Day Work Club », dont le but était de contribuer aux questions de santé public. Le mouvement se progagea. 

En 1914, le Président des USA, Woodrow Wilson, signa une proclamation pour instituer « Mother’s day » le deuxième dimanche du mois de Mai. Anna Jarvis exprima clairement qu’il s’agissait bien de « Mother’s day » : célébrer sa propre mère, et non les mères en général, ; « Mother’s Day » et non « Mothers’ Day ».


Le succès fut immédiat : offrir des œillets à sa mère ("carnation" en anglais, la fleur préférée de la mère d’Anna Jarvis) avec un petit mot reconnaissant devint une tradition nationale. 

Rapidement, la compagnie Hallmark (qui existe toujours) proposa à la vente des cartes toutes faites pour the « Mother’s Day » qui trouvèrent des preneurs de plus en plus nombreux chaque année – au grand chagrin de Anna Jarvis.

C’était la trahison de son idéal : ce jour devait être l’occasion où jamais de mettre en mots la gratitude que chacun devait éprouver pour sa mère, non une aubaine pour des commerçants ! Anna Jarvis décida de  boycotter  la célébration, essaya de l’abolir et poursuivit en justice les commerçants qui tiraient profit de « Mother’s Day ».

Quand, dans les années 40, les œillets traditionnels furent vendus au profit de l’association patriotique "American War Mothers", à l’opposé des convictions de la mère d’Anna Jarvis, celle-ci, furieuse provoqua un scandale qui lui valut d’etre arrêtée pour « disturbing the peace ». Elle mourut plus tard cette année là.

La fête des Mères version américaine a toujours lieu le deuxième dimanche du mois de Mai, l’occasion de cadeaux, de cartes souvent estampillées Hallmark, de célébration de nos mères autour de brunch dans des restaurants et de moments où la reconnaissance et la joie d’etre ensemble sont fêtées

C’était dimanche dernier, le 14 mai, cette année et voici la petite moisson que j’ai faite sur facebook, d’images qui m’ont fait sourire et parfois réfléchir.
Une photo que j’ai vue plusieurs fois sur le profil d’amis Natifs :



Voici Peggy, une des Elders de la church of the Indian fellowship. Elle est mariée à l’oncle d’Irvin, Charlie. Peggy et Charlie sont un peu nos “anges gardiens”, ils habitent non loin de chez nous et leur présence a souvent été secourable. Ils ont 4 enfants et 14 petits- enfants, lesquels ont créé ce t-shirt pour leur grand-mère.



Ce panneau m’a aussi fait sourire – si vrai !  



Il y a bien sur beaucoup d’humour qui rejaillit ce jour là, à propos des enfants insatiables et des mères qui utilisent toute leur créativité pour avoir quelques minutes de répit…



Et l’utilisation d’images un peu anciennes pour se moquer gentiment des meres trop parfaites…



Et des mères qui nous protègent contre tout danger, possible ou potentiel,  en toute éventualité…
Finalement, voici l’image que j’ai mise sur ma propre page sur Facebook. Nos relations de familles sont les plus profondes et les plus complexes. Et ce jour qui devrait etre joyeux parfois rafraichit des blessures anciennes. 




Tuesday, May 16, 2017

Une nuit et des lanternes

« Venez au diner. Si vous n’avez rien d’autre de prévu, je vous le demande, venez. »

Ainsi parlait Marilyn, la mère de Daniel, le mois dernier. Même si j’avais eu un autre engagement, je serais venue. Daniel, son fils, était mort deux ans plus tôt. Il avait à peine 40 ans. J’avais présidé à ses obsèques.Les premières obsèques que j’ai jamais célébrées en tant que Pasteur. 

Daniel avait vécu entouré et adoré par ses parents, ses enfants et sa sœur. L’amour était réciproque. Il aimait sa famille, se rendait utile, était le confident de nombre d’entre eux. Mais Daniel avait aussi le plus grand mal à se débarrasser de son addiction. Parfois il était en prison – et nous priions pour lui. Puis il sortait et je le revois, assis calmement dans l’eglise aux cotés de sa mère. Il se sentait mieux. Il s’en sortait. Jusqu’au jour où il disparaissait à nouveau.

Il y a un peu plus de deux ans, il marchait dans la rue avec agitation. Il venait de passer trois jours à l’hôpital pour une blessure à la main. Les médicaments reçus, particulièrement les antidouleurs, eurent des effets inattendus. Il délirait. Il s’engouffra dans une scierie à ciel ouvert.

Les lieux etaient déserts mais des voisins l’ont aperçu, se sont inquiété pour lui, la police fut appelée. Il était monté au sommet d’une pile de rondins. 

Deux policiers l’ont questionné de loin. Il eut un geste, dirent-ils. Ils se sont sentis menacés et ont tiré, tuant Daniel. Il n’était pas armé.

Immense douleur de la famille, sentiment d’injustice aussi lorsque les poursuites contre les officiers furent rapidement abandonnées. « La police a été appelée pour l’aider ! répétait sa mère. Il ne mettait personne en danger. Ils sont arrivés et à peine quelques minutes plus tard, Daniel était mort. » Il y eut des manifestations devant le commissariat, pour lui et d’autres, morts dans des circonstances semblables. La mère et la sœur de Daniel sont allées à New York pour des événements rassemblant les victimes de violence policière – de victimes à la peau toujours foncée.

C’était il y a deux ans. Ce diner en avril, dans le Fellowship Hall de l’eglise, commémorait la vie de Daniel, une tradition Native. Des photos de lui, sur une table, avec de fausses bougies (une bonne précaution dans notre eglise qui date de 1949 et brulerait rapidement en cas d’étincelle).

Une fois la nuit tombée, Marylin m’a guidée vers la pelouse qui entoure le bâtiment. « Viens, nous allons tous allumer des lanternes ! »

Ce que je ne savais pas, c’est que ces lanternes etaient des sortes de mini-montgolfières. Une fois le socle en bois et tissu enflammé, l’air chaud remplit l’intérieur de la construction en papier, qui ensuite  s’élève vers le ciel.
Voici exactement ce qui s’est passé dans mon esprit :


En une seconde, j’ai imaginé une lanterne s’échouant sur le toit de l’église, mettant le feu au vieux grenier, une autre percutant une ligne a haute-tension (tous les câbles sont a ciel ouvert, de poteaux en poteaux dans notre région), une troisième atterrissant sur l’autoroute voisine et provoquant un accident…

Tony, un des Elders de l’église, dont il est le gardien depuis toujours, et cousin éloigné de Daniel a croisé mon regard. Il était inquiet aussi. « Daniel et ses amis ont fait la fête ici il y a 20 ans… Ils ont mis le feu à ce sapin là (un immense sapin en contrebas, bordant le cimetière). J’ai essayé de l’éteindre mais le feu était trop haut dans les branches. Mon tuyau d’arrosage ne pouvait pas l’atteindre… »

Mon sang n’a fait qu’un tour et… j’ai vu les lanternes prendre doucement de l’altitude…  glisser vers le ciel qui ce soir là, le seul de la semaine, était sans nuage. J’en ai même allumé une avec Tony. 

Tony allume une des lanternes. Je suis censee l'aider mais je prends des photos....
C’était un spectacle d’une grande beauté.


J’ai souri à Marylin qui allait d’un groupe à l’autre, aidant les dernières lanternes a prendre leur envol. « J’ai vu ces lanternes lors de la célébration d’une autre victime à New York » m’a-t-elle dit. « Elles étaient blanches. Je voulais qu’elles soient bleues ce soir, c’est la couleur de Daniel… »




Monday, May 8, 2017

Frida et Diego sont à Phoenix


Le « Heard museum » de Phoenix, un musée d’art Natif américain, consacre ces mois ci une exposition  à Frida Kalho et Diego Rivera. Irvin et moi l’avons visitée lors de notre séjour en Arizona.

Les tableaux les plus connus de Frida – ses autoportraits où elle se représente sans s’embellir, cherchant la plus exacte représentation de ce qu’elle perçoit et ressent – etaient présents, ainsi que des photos où la vie et les peintures se croisent, comme cette toile connue –  qui se trouve aussi sur le mur devant lequel Frida pose.



Frida parfois peint parfois des images et des symboles pour exprimer ses émotions, comme ce portait où Diego est dessiné sur son front, intitulé « Diego on my mind ». 


Ou ce grand cercle inspiré par l’image de Sainte Anne, portant sa fille Marie et le Christ. Mais ici, une déesse monumentale émerge du ciel et de la terre pour embrasser une figure Aztèque, sur le giron de laquelle Frida, Diego et leur chien bien-aimé, s’abritent.


Sa relation avec Diego Rivera était passionnée – 30 ans de mariage, comportant un divorce en 1940 et un remariage l’année suivante, jusqu'à la mort précoce de Frida à 47 ans, – et tous deux ont eu des relations extraconjugales.

Dans cette toile de Diego Rivera, Paysage avec Cactus, créée pour une exposition qui lui était consacré en 1931au Musée d’art moderne de New York, les commentateurs se sont demandés si les trois cactus dont l’un pourvu de seins, était une allusion à la relation qui s'ébauchait entre Frida et le photographe Nicholas Muray.


Atteinte de polio, puis victime d’un accident de la circulation grave qui nécessita des hospitalisations fréquentes, Frida passa une grande partie de sa vie dans un lit d’hôpital. Elle a beaucoup dessiné pendant ces moments d’immobilité forcée. Ces dessins donnent l’impression de visiter le vif de ses pensées !





Un ami de Frida, Andrès Henestrosa (écrivain Mexicain et homme politique) dit d’elle qu’elle a vécu mourante (she lived dying) tant sa santé fut précaire en raison conséquences de cet accident survenu quand elle avait 24 ans. Mourante sans doute, mais aussi foisonnante de talent et de créativité… 



Wednesday, May 3, 2017

L’arbre de vie

Certains arbres sont tellement fascinants qu’ils donnent un sens à la vie. Le photographe Mark Hirsch a été si captivé par un vieux chêne enraciné au coin d’un champ de mais dans le Wisconsin qu’il a inséré une photo de l’arbre par jour sur sa page Facebook  avant de publier un livre. (http://www.thattree.net/)

Sans aller jusque là, pendant ces quelques jours en Arizona, j’ai admiré un arbre planté devant la fenêtre de notre chambre. Le tronc n’est pas droit, on devine un accident dans la jeunesse de l’arbre, mais il a continué à pousser et toutes ces branches et ramifications laissent rêveur... jusque dans la nuit. 





Bien sur, j’étais en « study leave » donc je devais lire – on voit bien sur la photo d’Irvin un livre à mes cotés. 


Mais les arbres peuvent aussi donner des leçons. Résilience, flexibilité, épanouissement… et certainement des racines qui ont du chien.