Saturday, July 26, 2014

D’un royaume à l’autre

 «Nous appartenons à deux royaumes, le royaume des bien portants et le royaume des malades» écrit Susan Sontag. 
Arthur Franck, qui la cite dans son livre «The Wounded Storyteller»(1) ajoute une zone d’ombre entre ces deux territoires, une zone où vivent les patients en rémission, un lieu où la santé et la maladie se côtoient intimement.

La rémission est mon territoire. Je ne peux pas affirmer que je suis ‘guérie’, même si aux dernières nouvelles, le cancer a disparu de mon organisme. C’est comme si les cellules malignes avaient la clef – elles peuvent revenir à tout moment.  
«A partir de maintenant, où que vous alliez, vous devez avoir un cancérologue, m’avait prévenu la spécialiste qui m’a suivie. Pour le reste de votre vie.»

Et je suis toujours sous traitement. Comme mon cancer était «hormone sensitive», je prends des médicaments qui baissent le taux d’œstrogène au maximum.  

Des mois après la fin de la chimio et des rayons, de nouveaux effets secondaires se sont montrés discrètement. Mes cheveux ont repoussé mais mes sourcils ont quasiment disparu. L’occasion, devant un miroir, de réfléchir à l’apparence des extra-terrestres dans les films de SF. Avez-vous remarqué qu’ils n’ont jamais de sourcils ?

Mes mains ont des manifestations de neuropathie, un fourmillement et une raideur dans les doigts, plus ou moins accentués selon les moments. Mon bras gauche enfle à cause des ganglions manquants. «Vous devez porter une manche compressante», m’a dit la kiné, une specialiste des phénomènes lymphatiques. «Tout le temps ?» ai-je demandé, un peu alarmée. «Non, seulement quand vous êtes éveillée.»

La rémission, ce n’est pas complètement la bonne santé. Malgré tout, ce territoire ambivalent y ressemble beaucoup. J’ai conscience que je suis là où je m’espérais l’an dernier : en bon état globalement et de retour dans un quotidien apaisé. 
Rien ne vaut d’avoir séjourné dans le royaume des malades pour connaitre la valeur de ne plus en être citoyen. 

[1] Arthur W. Frank, the Wounded Storyteller, Body Illness and Ethics, the University of Chicago Press: Chicago and London, 1995, 

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