Tout au long de
mon traitement, la question m’a été posée : par mon superviseur, les
quatre autres chapelains (‘résidents’ comme moi) certains patients, des
paroissiens. En veux-tu à Dieu pour ce cancer ? Non, vraiment pas. Cela me
parait évident –vu la complexité du corps humain- que des cellules fassent sécession
et chamboulent l’équilibre de l’ensemble. C’est une part indivisible de la destinée
humaine et non une malveillance divine. Si je dois trouver des responsables, je
dois me mettre en tête de liste. Gourmandise, sucre et coca-cola, j’ai préparé
le terrain.
Et puis de quel
droit m’estimerais-je protégée par ma foi ? J’ai côtoyé des patients, des êtres
humains merveilleux, bien plus atteints que moi. Pourquoi aurais-je droit à un
statut spécial ?
Brenda Jarvis, aumônière a Seattle, a écrit un livre sur
son expérience[1] – elle a
eu un cancer du sein qui a nécessité une mastectomie. Elle raconte avec humour
la presque incrédulité de certains patients, apprenant son diagnostic.
Elle commente : «Je suis chrétienne, la
religion qui ne parle que de la crucifixion de cet homme, que nous considérons
comme le Fils de Dieu ! Voyons, si le Fils de Dieu n’est pas épargné,
pourquoi le serais-je ? Je ne suis que le chapelain !»
Non. Je ne
censurais rien. J’affirmais ce qui me semblait – me semble toujours – une évidence.
Pourtant… alors
que je me préparais à écrire tout ceci dans mon blog en avril dernier, il s’est
passé quelque chose. Une patiente et sa famille – elle, inconsciente et le
teint cireux de ceux qui vont bientôt mourir. Ses enfants, de jeunes adultes,
se préparant à l’inévitable. Son mari, fébrile à son chevet. «Prions pour un
miracle, répétait-il. Un miracle est encore possible.» Nous avons prié. Il m’a
raconté que trois ans auparavant, elle avait eu un cancer du sein. Comme moi.
La tumeur avait été extraite, une chimiothérapie et radiothérapie avaient
suivi. Comme moi. On l’avait déclarée en rémission. Ce que j’espérais
à l’issue du traitement. Et voila que trois ans plus tard, quand elle avait
consulté pour des douleurs dorsales, il s’était avéré que le cancer était revenu,
plus féroce que jamais. Trois semaines avaient suffi pour transformer cette
jeune quinquagénaire en mourante. «Un miracle est encore possible» répétait son
mari, en qui je pouvais imaginer Irvin à mon chevet.
Le même soir, j’eus
une longue conversation avec une autre patiente, dont le cancer du sein s’était
propagé. «Je sens le cancer se déplacer dans mon corps", me dit-elle avec calme. Un effroi glacé, l’impression d’une révélation imminente m’a traversée, tandis
que je regardais ces femmes, mes ainées de quelques années, qui incarnaient si précisément
mes pires craintes. J’étais sonnée. «Seigneur, as-tu quelque chose à me
dire à travers ces patientes ?»
Je n’étais pas en colère contre
Dieu. Mais je ne pouvais plus écrire sur le sujet.
Et puis je me
suis vue traversant cette tempête, comme les disciples affolés au milieu des
vagues immenses. Jésus se réveille pour calmer la tempête d’un mot – et aussi mon
agitation. La peur s’est éloignée. Je n’ai plus ressenti ce vertige lors de mon
travail à l’hospice house.
Je n’en veux pas à
Dieu. Je suis reconnaissante. Il m’accompagne – quelque soit l’issue de ma traversée.
[1] It’s Not About the Hair, and Other Certainties
of Life & Cancer, Sasquatch Books, Seattle, 2007.
« On nous dit « c’est la volonté de Dieu, il n’y a qu’à s’incliner ». Mais faire de tous les accidents l’expression de la volonté de Dieu, nous paraît terriblement faux ; car si c’est Dieu qui a fait pleuvoir du feu et du souffre, c’est lui qui allume l’étincelle qui produira l’explosion de grisou ; c’est lui mettra dans l’engrenage la main de l’ouvrier ; c’est lui qui, dirigeant mal les navires, occasionnera ces collisions et ces naufrages.
ReplyDeleteOui, la croix de Golgotha, monument inouï du conflit tragique et nécessaire entre le bien et le mal, démontre l’impuissance de Dieu. Diminuée métaphysiquement, la divinité est moralement grandie.
Le « Dieu Vivant » c’est le Dieu qui vivifie. Dans l’état présent de l’évolution terrestre, « Dieu » n’est pas encore une solution de l’énigme rationnelle, mais bien du problème moral. Il y a un Dieu qui sera et qui ne s’est pas encore manifesté ! » Wilfred Monod