Thursday, June 23, 2011

Code Bleu

20 minutes après avoir écrit le précédent message, le pager (clipé a mon T-shirt) a émis un son déchirant. J’ai poussé le bouton d’une main tremblante et les mots «code Blue, chambre 616» sont apparus. Code bleu : arrêt cardiaque. Un patient qu’on essaie de ressusciter. La mort qui avance. J’appelle la «nurse supervisor» : à ce poste, 24h/24, une infirmière qui sait tout ce qui se passe dans cet immense hôpital. «Oui, venez, confirme-t-elle. Je n’ai pas encore appelé la famille, mais je vais le faire».


Je saute dans la voiture – il est minuit. Je prie comme je peux, des mots hachés par toutes sortes de peurs au-dessus desquelles la crainte de ne pas être à la hauteur surnage. Arrivée sur place, la famille encore en route, j’apprends que le patient a été ranimé, et on le transfert en soins intensifs. Tandis que je regarde, impressionnée, les infirmières et médecins autour de ce jeune homme inconscient, l’une d’elle m’approche. «Il y en a un autre», me dit-elle. Elle pointe vers une autre chambre a quelques mètres de la. «Il est en train de mourir – la famille est en route. Pour celui-là, c’est sûr, on ne peut pas le ramener." 

Quand la mère du patient et sa compagne arrivent, le patient est décédé. Elles sont en larmes. Les infirmières les laissent seules dans la chambre avec lui. Je les suis, espérant pouvoir etre utile, peut-être prier avec elles. «Get out, please !» crie la compagne. Je sors, réalisant mon erreur. Ce moment était le leur. Je n’aurais pas du m’immiscer sans y etre invitée. Quelques minutes plus tard, une infirmière les rejoint, leur explique les circonstances de la mort du patient. Il s’est éteint paisiblement, alors qu’elles devaient prendre une décision le lendemain sur son maintien sous appareils de survie. «Elles aimeraient une prière maintenant» me dit l’infirmière.

 Je rentre, dans cette grande chambre pleine d’appareils silencieux. Dans un coin, des ballons colorés avec la mention « Happy Father’s Day ». Je m’assois près de la mère, qui pleure silencieusement. Sans que je le prévoie, je me mets à pleurer avec elle, et il me faut plusieurs minutes pour etre capable de parler. Je lui dis combien je suis désolée pour ce qui vient d’arriver, et je me mets à prier. Mes phrases sont hachées – je parle de la présence de Dieu en cet instant auprès de ceux qui souffrent, de Peter dans la lumière de la présence divine, et je prie pour le réconfort de ceux qui restent, ceux qui l’aiment. Je dis que les souvenirs, les expériences partagées avec Peter sont les leurs à jamais, que personne ne les en séparera. Je cite le roi David devant son fils mort «il ne reviendra pas, c’est moi qui irai vers lui».

Finalement je me tais. La mère me dit gentiment « that was beautiful ». Nous restons silencieuses. J’aimerais engager une conversation qui lui permette de me parler de son fils, mais je ne trouve pas les mots. Pourquoi n’ai-je pas demandé simplement «parlez-moi de lui» ? Finalement, j’explique que je dois aller voir l’autre patient et que je reviendrai plus tard.

La mère est arrivée au chevet de Larry, le premier patient, dont le cœur faiblit après sa réanimation. J’ai le temps de me présenter puis soudain les événements se précipitent. Nouveau code bleu, survenue de plus d’infirmiers et techniciens, cette fois le patient ne peut pas etre ressuscité. La mère de Larry pleure, le médecin la serre dans ses bras. Tous quittent la chambre – elle se tourne vers moi et me demande de prier pour son fils. Je prends sa main et nous prions ensemble. Puis elle demande à rester seule avec lui, rejointe par son mari.
 J’attends dans le couloir que l’une ou l’autre famille ait besoin de moi. Cette pause n’est pas inutile. Je suis tremblante même si je me suis ressaisie. Je retourne voir l’autre famille, qui a des questions sur les formalités à venir. Je leur réponds, leur donne le numéro de l’infirmière supervisor à prévenir quand la compagnie funéraire viendra chercher le corps. Les deux femmes se préparent à partir. La mère de Peter me serre dans ses bras – un de ces ‘hugs’ américaines . Je les regarde s’éloigner, la compagne a les ballons «Happy Father’s Day» à la main…

 Un autre code bleu est déclenché à 6h du matin – une patiente qui a pu etre ranimée. Je prie avec ses filles.

 «Toutes les nuits ne sont pas aussi agitées», me dit Greg, le chaplain supervisor, un peu plus tard. Il m’assure que, statistiquement, je n’aurai pas à vivre d’autres astreintes aussi intenses. J’en prends acte en déposant le pager sur son bureau. Mais mercredi prochain, ce sera à  nouveau mon tour de le prendre en charge, ce ‘pager’ maudit, de 16h jusqu’à 8h le lendemain, une longue nuit imprévisible en perspective.

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