Quand des
nouvelles, bonnes ou tragiques, nous frappent, nous nous souvenons du contexte où nous les avons entendus avec précision. Où étions nous quand on a marché sur
la lune… quand nous avons appris la mort de lady Di… quand nous avons vu les
images de 9/11…
J’étais assise avec
Irvin dans un Starbuck à Orlando, en Floride, la veille de notre départ. Je « feuilletais »
Facebook distraitement sur mon téléphone. Sur les pages de mes amis, j’ai vu
apparaitre plusieurs fois la photo d’un jeune homme blond, souriant. Avant que
je puisse lire le commentaire, plus long à apparaitre, j’ai senti mon cœur s’accélérer. Avant de lire, j’ai compris. Raphaël Picon était
mort.
Raphaël était un théologien
à la pensée originale et limpide et aussi un pasteur qui avait passé avec sa
famille plusieurs années aux USA lors d’un échange de chaire. Il est devenu
professeur et doyen de la faculté de théologie de Paris, où j’ai fait mes études,
après mon passage. En tant que doyen, Raphael avait démêlé rapidement mes difficultés
à rassembler les preuves de mes notes et « crédits », me permettant de
faire reconnaitre que ma licence de théologie avait une valeur équivalente à
celle d’un Master in Divinity, m’économisant trois ans de séminaire américain.
Je l’ai vraiment
rencontré grace à notre ami commun Olivier. Tous deux travaillaient avec
passion sur le magazine Evangile et Liberté. Nous avons eu la joie de plusieurs
déjeuners ou diners ensemble, dans le grand appartement d’Olivier et Aurélie, où
Irvin pouvait participer à la conversation sans difficulté puisque Raphaël et
sa femme Cécile etaient tous deux bilingues.
Tous les six, nous
avions grand plaisir à parler d’abondance d’expériences de paroisses, de séminaires ;
d’enfants qui grandissent et de voyages.
Quelques semaines
après notre dernière rencontre, Raphael a appris qu’il avait une tumeur au
cerveau. Le diagnostic en aurait foudroyé plus d’un. Il entreprit calmement un
traitement choc de chimio et radiothérapies quotidiennes qu’il se félicitait de
bien supporter, tout en relisant les épreuves de son dernier livre sur Emerson « le
sublime ordinaire ».
Dans un email chaleureux, il me remercia d’avoir
demandé aux « prayer chains » dont je fais partie dans mes différentes
paroisses de prier pour lui. Un de ses amis avait glissé une prière de guérison
dans le mur des Lamentations de Jérusalem, me dit-il. Ces initiatives le
touchaient beaucoup. Mais après tous ces traitements, si la tumeur avait en
effet cédé du terrain, une autre fut détectée, inopérable. A partir de là, les
nouvelles n’ont pas cessé d’être
mauvaises. Jusqu'à cette journée de janvier.
Comme j’aurais aimé
me joindre aux obsèques et aux différentes cérémonies et moments de célébration
qui eurent lieu à la faculté de théologie. Je pensais – je pense toujours - souvent
à Cécile, dont je partage le prénom et les années de lycée communes à St Cloud,
où nous sommes côtoyées sans nous connaitre encore. Grace à Olivier, j’ai pu
lire le témoignage de son fils ainé, 15 ans, dont voici quelques lignes :
« Mon
père a accepté naturellement cette maladie et la mort à venir. Et cela, il l’a
fait pour nous, pour les vivants. Jamais il n’a exprimé la moindre inquiétude
sur notre avenir à nous quatre. Jamais il ne nous a donné de conseils, parce
qu’il avait toute confiance en nous « son sublime ordinaire ». Il était
convaincu que la vie reprendrait si tant est qu’elle se soit même arrêtée.
Il a accepté pleinement la souffrance et la mort, jusqu’à
nous la faire oublier et peut-être l’oublier lui-même, dans un ultime et
éternel geste de vie. »
Qu’est-ce qu’une bénédiction ?
John O'Donohue, le poète Irlandais, nous
répond: c’est un cercle de lumière dessiné autour d’une personne… une
invocation de grâce qui survient quand le cœur humain plaide avec le cœur
divin. Quand une bénédiction est invoquée, une fenêtre s’ouvre sur le temps eternel.
La vie de Raphael, ses livres, son
œuvre, la famille et les souvenirs qu’il a laissé derrière lui sont de telles bénédictions.
Les fenêtres qu’il a laissé ouvertes pour nous ont ensemencé et enrichissent notre
présent.
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